Alain Obadia
Président de la Fondation Gabriel Péri
Révolution numérique, transition écologique, exigences inédites de participation et d’autonomie sont autant de défis nouveaux à relever si l’on veut que l’avenir du travail soit marqué par le développement de sa composante émancipatrice.
Ces trois défis bouleversent tout à la fois les finalités, le contenu, l’organisation et les conditions de travail, les compétences, les qualifications et les savoir faire. Elles posent avec force des enjeux de formation, d’organisation des temps de la vie, d’articulation entre les salaires, les cotisations et les revenus notamment en ce qui concerne les différentes périodes de transition que l’on peut rencontrer dans l’existence. Ces dernières seront, à n’en pas douter, de plus en plus fréquentes compte tenu de l’importance et de la rapidité des mutations en cours.
La révolution numérique – phase contemporaine de la révolution informationnelle – transforme en profondeur le travail. La mise en réseau des données, le rôle grandissant que jouent les algorithmes, le développement soutenu du capitalisme de plateforme ou encore les avancées rapides de la robotisation nous renvoient en permanence aux enjeux soulignés précédemment.
Tous les secteurs et toutes les catégories professionnelles sont désormais impactés. Dans ce processus des emplois sont supprimés en nombre. En même temps d’autres sont crées. Comment les seconds peuvent-ils compenser les premiers afin d’empêcher qu’un développement technologique soumis aux seuls impératifs de rentabilité financière débouche sur une catastrophe sociale et une dislocation de la société ? Quelles conditions créer pour que les formations indispensables à ces mutations puissent exister au niveau nécessaire et pour que les travailleurs concernés puissent voir leurs revenus garantis ? Quel rôle peut jouer la réduction du temps de travail dans cette perspective ? Comment établir des règles pour maîtriser socialement l’activité des plateformes numériques en développant une véritable économie de partage et en contrecarrant les dérives de l’ « ubérisation » ? La révolution numérique pose de véritables enjeux de société.
La transition écologique porte des défis d’ampleur comparable. Elle implique notamment une transformation en profondeur des process industriels ainsi que l’émergence d’industries écologiques. Dans les deux cas, il s’agit d’intégrer les approches de l’économie circulaire pour économiser les matières premières, l’énergie, préserver les écosystèmes ou encore développer le recyclage tout en répondant aux besoins. Ce ré-enginiering des modèles productifs est exigeant mais il est incontournable. Il ouvre des opportunités de création de nouveaux métiers et donc des besoins accrus de formations et de qualifications. Le financement de ces formations et du revenu des travailleurs concernés relève de la problématique évoquée à propos de la révolution numérique. La sécurisation des parcours professionnels est bien l’une des principales questions d’avenir pour faire face aux mutations du travail.
Si l’impératif de transformer les modèles productifs concerne l’industrie et les services, il représente également un enjeu majeur pour l’agriculture. Celle-ci doit tourner la page du modèle productiviste encore dominant et s’orienter vers le développement des circuits courts et de la production paysanne vecteurs de qualité, de justes revenus, de préservation des sols et des territoires.
Les exigences de participation et d’autonomie dans l’activité de travail se manifestent de façon diversifiée. Il existe, par exemple, dans une partie de la population (notamment parmi les jeunes) une aspiration à ne pas être salarié liée au manque de considération dont les salariés font l’objet.
Cette réalité fait écho à une aspiration de plus en plus perceptible parmi les salariés de pouvoir agir sur les finalités, le contenu et l’organisation du travail. Être réduit à la condition de rouage anonyme apparait de plus en plus insupportable aujourd’hui. Cela renvoie à la question des pouvoirs d’intervention nouveaux au sein des entreprises. Cela explique également l’intérêt que suscitent les activités, entreprises et structures de l’économie sociale et solidaire (coopératives, mutuelles, associations etc.) ; celui des Fab labs non lucratifs ou des plateformes relevant d’une véritable économie de partage, ou encore celui de l’artisanat.
Ces quelques développements témoignent de l’ampleur des mutations à amorcer. Les défis sont stimulants et des alternatives existent. Il n’y a pas de fatalité. Il faut, par contre, ne jamais perdre de vue le sens général des évolutions à opérer. Il est donc nécessaire de débattre du souhaitable et ne pas se laisser enfermer dans le carcan étroit du soi-disant possible qu’on ne cesse de nous rabâcher à longueur d’antennes et de colonnes. Cette branche de l’arborescence a pour vocation de rassembler les réflexions, connaissances et expériences qui nous permettront d’ouvrir largement le champ des possibles et de faire du travail une réelle dimension émancipatrice et épanouissante de la vie de chacun.