Selon Pierre Dharréville, la réforme du droit du travail par ordonnances est un acte politique autoritaire qui empêche le débat public. Il s’inquiète également des annonces de réforme concernant la protection sociale et appelle à la mobilisation.
Silo: En tant que député, que signifie pour vous l’usage des ordonnances pour réformer le Code du travail?
Pierre Dharréville: Face aux critiques, le gouvernement a répondu que cette procédure était tout à fait démocratique puisqu’elle était contenue dans la Constitution. L’argument est léger. Chacun sait que la Constitution de la Vème République est faite pour donner force à l’exécutif et plus exactement au président de la République au détriment du Parlement. Les ordonnances en sont un des nombreux outils et le fait qu’on ait réformé par ordonnances à la Libération constitue une comparaison grotesque, compte tenu de la caractéristique de l’époque. En réalité, les ordonnances consistent en ce que le gouvernement exige du Parlement qu’il se dessaisisse de son pouvoir d’écrire la loi, c’est-à-dire qu’il renonce à ce pour quoi il a été désigné de par la souveraineté populaire. Ainsi, la majorité a voté une loi d’habilitation, autorisant le gouvernement à écrire à notre place. À chaque fois que nous avons essayé ne serait-ce que de préciser le champ de ces ordonnances, il nous a été répondu que nous devions « faire confiance au dialogue social ». Les ordonnances ont été écrites ; on ne peut pas dire que les organisations syndicales de salariés soient satisfaites ; et elles s’appliqueront dès leur promulgation. Ensuite, le Parlement devra les ratifier. Et le gouvernement a déjà annoncé que le texte était arrêté et qu’il ne bougerait qu’à la marge. Donc la loi n’a pas été écrite par le Parlement. Et le président de l’Assemblée nationale vient de déclarer que « la loi ne s’écrit pas dans la rue… », elle ne s’écrit pas non plus au Parlement. Je crains qu’elle ne s’écrive en réalité au siège du MEDEF… L’usage des ordonnances est donc une violence contre la démocratie. C’est une manière de limiter non seulement le débat, mais surtout l’intervention des parlementaires en tant que représentants du peuple. Or, le Code du travail avait déjà fait l’objet d’une réforme très controversée, passée avec l’aide du 49-3, et qui a continué dans toutes les enquêtes d’opinion de recueillir une majorité d’avis contre elle. Donc il y avait besoin d’un vrai débat parlementaire, d’un vrai dialogue social et d’un vrai débat public. Les ordonnances consacrent une décision autoritaire.
Quelle a été la réalité du travail en commission?
La même qu’au sein de l’hémicycle. Lors des différentes réunions, nous avons mené le débat, la ministre nous a répondu, parfois sans nous répondre, et la majorité a voté en bloc. Cela s’est fait de manière complètement précipitée parce que le gouvernement en avait décidé ainsi. Nous n’avions que quelques jours pour prendre connaissance du texte et déposer des amendements.
Comment concevez-vous la suite de votre action?
Nous allons continuer à essayer de provoquer ce débat public nécessaire. Je crois que l’Assemblée nationale a été une bonne chambre d’écho, la presse a quand même relayé un certain nombre des échanges que nous avons imposés dans l’hémicycle. Les députés communistes ont édité un document à un million d’exemplaires qui dévoile le contenu du texte et met sur la table des propositions. Nous allons organiser de nombreuses réunions publiques pour faire grandir la conscience de la gravité de l’attaque et de la force populaire. Il n’y a pas de majorité dans le pays pour démolir le Code du travail. Nous allons donc multiplier les échanges. La bataille ne fait que commencer. La loi de ratification va venir à l’automne, ce sera un nouveau moment décisif. Nous attendons également la décision du Conseil constitutionnel suite au recours que nous avons déposé avec l’ensemble des groupes de gauche de l’Assemblée nationale. Et surtout, si nous avons un rôle à jouer, il existe au-delà de nous-mêmes, des forces importantes qui sont en train de se mobiliser et de faire grandir le refus de ces ordonnances qui sont le premier acte de la majorité En Marche. On a l’impression qu’Emmanuel Macron ne veut écouter que lui-même et qu’il se croit tout permis. Il faut lui faire comprendre que la société n’est pas en pâmoison devant lui et qu’il doit tenir compte de la volonté populaire, en tant que président de la République. Les annonces de réformes inquiétantes pour la protection sociale par exemple doivent inciter à monter encore le niveau de la mobilisation. Nous allons donc alimenter la bataille de nos arguments et propositions dans tous les espaces possibles, travailler à unir largement face à cette attaque et nous serons ces députés du peuple qu’on attend au cœur des mobilisations populaires. Nous voulons être utiles à faire entendre plus fort les aspirations du monde du travail.