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Lutte contre les violences sexistes et sexuelles : financer l’action publique à la mesure du phénomène !

Lutte contre les violences sexistes et sexuelles : financer l’action publique à la mesure du phénomène !Temps de lecture : 6 minutes

Depuis quatre ans, la dénonciation des violences sexistes et sexuelles a pris une ampleur mondiale avec les mouvements #Metoo et #MetooInceste. Il n’est désormais plus possible pour les gouvernements de faire fi d’un phénomène dont on voit mieux l’ampleur considérable grâce à la mise en lumière sur la scène publique de multiples témoignages de victimes. Et pourtant, en France, la réponse politique s’est surtout soldée par une intense communication de l’ancienne secrétaire d’État chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, sans réelle traduction budgétaire. En s’appuyant sur de nombreux rapports d’étude, Hélène Bidard montre les conséquences néfastes des politiques d’austérité financière dans les services publics sur la non-prise en charge des victimes de violences sexistes et sexuelles, femmes et enfants. D’autant que les effets particulièrement délétères des confinements successifs viennent rappeler l’urgence de la mise en place d’une politique publique véritablement ambitieuse.

De l’égalité professionnelle et salariale à la lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales

Dans les prévisions les plus optimistes, on estimait, avant la pandémie de covid, que l’égalité professionnelle et salariale serait atteinte dans environ 150 ans. En 2020, à cause de la crise sanitaire, on évalue un recul de ce calendrier de presque 36 ans. De ce point de vue, la mobilisation en faveur de l’égalité femmes-hommes dans le domaine de l’emploi constitue un enjeu fondamental, alors que des solutions existent bel et bien, et qu’elles sont identifiées, par les études scientifiques de la Fondation des femmes[1] ou encore par le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes[2]. Mais quel rapport avec la lutte contre les violences ?

La question de l’autonomie financière est centrale pour beaucoup de femmes, notamment les femmes les plus précaires pour sortir des violences conjugales et intrafamiliales. En effet, comme le soulignait Gisèle Halimi « Sans indépendance économique, ne nous racontons pas d’histoires, il n’y a pas de libération des femmes, et c’est vrai dans tous les domaines. Une femme battue avec une carte de crédit, même modeste, sait bien que le soir où la situation devient insupportable, elle peut aller à l’hôtel en emmenant ses enfants. Et puis, le travail crée des réseaux : vous avez des échanges, des amis… ».

Lors des différents confinements, alors qu’on observait un recul de l’égalité professionnelle, les jeunes, les enfants mais aussi les femmes, victimes de violence, se sont retrouvés confinés avec ceux qui sont les auteurs de violence, principalement leurs proches : le conjoint, le père, l’oncle, celui qui vit à proximité. Ces violences se sont accrues pendant ces périodes, et si les signalements de violences aux forces de l’ordre et intervention à domicile ont été en nette augmentation, le nombre de plainte a, quant à lui, mis du temps à augmenter. En effet, après les déconfinements, on a constaté qu’il fallait à peu près six mois aux femmes en ayant la possibilité, conscientes de leurs droits et informées des lieux où les faire valoir (associations féministes, notamment), pour déposer plainte.

L’indigence de la réponse gouvernementale aux victimes de violences sexistes et sexuelles

Dans cette perspective, le mouvement féministe soutient l’important mouvement #MetooInceste, dans une logique commune de lutte contre les violences patriarcales, à caractère systémique dans la société.

En France, chaque année, au moins 94.000 femmes de 18 à 75 ans déclarent avoir été victimes de viols et/ou de tentatives de viol et au moins 165.000 enfants sont victimes de violences sexuelles. 10% de la population déclare avoir été victime d’inceste[3]. On connait tous et toutes des familles dans lesquelles ça se passe, et en réalité, ça se passe dans toutes les familles, dans les nôtres aussi. Personne n’est à l’abri. Depuis 2017, le mouvement #Metoo gagne du terrain, avec des dénonciations sur les violences conjugales et intrafamiliales, dans les milieux sportifs, artistiques, culturels, professionnels, tandis que le mouvement #MetooInceste permet une large prise de conscience dans la population de l’importance du nombre de victimes. Contraints par ces mouvements sociaux de mettre à l’agenda politique cette question, le gouvernement communique. Beaucoup. Il n’y a néanmoins aucune véritable traduction budgétaire de cet affichage médiatique.

En juillet 2020, les sénateurs Eric Bocquet (PCF) et Arnaud Bazin (LR) rendent un rapport d’information sur le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes[4]. Ils y analysent les annonces de Marlène Schiappa pendant un an et montrent qu’il n’y a eu aucune augmentation budgétaire au niveau national. Pourtant, cette question de financement et de formation des services publics est centrale. Si le mea culpa de la justice concédé à l’époque par Mme Belloubet, alors garde des Sceaux, a permis au moins une reconnaissance officielle des dysfonctionnements, cela reste totalement insuffisant. Car dans les faits, rien ne se passe. Après des féminicides, comme celui d’Hayange par exemple, l’administration déclenche des enquêtes sur des personnels de police ou de justice qui sont comme partout en France : en sous-effectifs, peu ou pas formés, ne disposant pas de la capacité de prioriser ces questions et qui ne sont guère en lien avec les associations féministes, pourtant spécialisées et à même de les aider à identifier les mécanismes propres aux violences.

Tous les rapports sérieux, à commencer par celui du Haut conseil à l’égalité[5], l’ont rappelé : au minimum, un milliard par an est nécessaire pour lutter contre les violences faites aux femmes. À cet égard le Grenelle des violences conjugales a été une occasion manquée. À n’en pas douter, au minimum un autre milliard serait requis pour protéger les enfants des violences sexistes et sexuelles. Entre cadeaux aux entreprises et évasion fiscale, on peut les trouver : c’est un choix politique !

Financer le service public à la mesure véritable du phénomène

Il faut constater ici un véritable décalage entre les attentes de la société, et la réalité des politiques publiques. Comme évoqué, le niveau de tolérance face aux violences s’étant extrêmement abaissé, il y a eu en parallèle un courant de crédibilisation très forte des combats que portaient, non sans mal les féministes depuis de nombreuses années. Aujourd’hui elles sont écoutées. D’autant que les mouvements sont internationaux, grâce aux réseaux sociaux et aux médias qui sont passés d’un traitement de de ces violences dans les rubriques fait divers, en quête d’audimat, à la qualification de féminicide pour parler des meurtres de femmes, ou encore, pour les plus téméraires, à l’identification des infanticides et des incestes à la logique patriarcale.

Ce qu’il se passe est très important. Il faut maintenant mettre des moyens conséquents en termes de politique publique pour les associations féministes mais aussi pour tous les grands services publics. On a beaucoup parlé de l’AP-HP au début de la crise sanitaire, et des premières de cordées envoyées au front pour faire face à la pandémie, dans un premier temps sans équipement ni protection. A ce manque de moyen global, il faut relever une absence de financement à la hauteur pour la prise en charge des victimes de violences machistes, amenant ces services publics à ne pas pouvoir répondre de manière satisfaisante aux besoins des femmes et des enfants victimes de violences.  Très souvent, une femme victime de violence va à l’hôpital parce qu’elle a un bras cassé, sans qu’on ne lui pose la question des violences. Elle reviendra deux mois après avec un œil au beurre noir, et ainsi de suite. Il suffit pourtant qu’un personnel médical ait le temps et ait reçu la formation nécessaire pour poser la question des violences intrafamiliales et des violences faîtes aux femmes. S’il avait les moyens, il pourrait ensuite l’orienter afin qu’elle puisse déposer plainte directement dans les hôpitaux.

Sans doute faudrait-il que la justice arrête également de traiter de manière quantitative ces faits délictueux et criminels, et cesse sa recherche constante de rationalisation économique, dont l’expression la plus manifeste est la tendance croissante à la correctionnalisation des violences sexuelles. C’est une question de moyens. La logique austéritaire a détruit les services publics, dans les hôpitaux, la police et la justice notamment, délaissant ainsi la formation des personnels, tout en asséchant drastiquement le financement associatif.

Tout ceci a un impact direct sur la (non-)prise en charge de tous ceux et celles qui sont victimes de violence. Concrètement, grâce au rapport de Marie-George Buffet sur la jeunesse et la covid rendu en décembre 2020[6], nous savons qu’il y a en France environ 600 pédopsychiatres pour prendre en charge les enfants victimes de violence. Autrement dit, c’est une pénurie. Autre chiffre significatif : seulement 9 % des victimes d’inceste sont orientées et prises en charge parce qu’elles ont été détectées par des médecins. Pourtant, tous les enfants voient des médecins, c’est obligatoire, pour les vaccins par exemple. La question n’est pas posée et pourtant, ça se voit. La population doit être formée à ces questions-là. Le plus important étant de toujours commencer par « je te crois, on va trouver une solution ensemble, aller voir des professionnel·les, pousser des portes ensemble, je te crois et on va y arriver ».

Il est bien question d’extension des luttes féministes depuis quelques années. En 2015 une mobilisation contre le harcèlement de rue, venu du mouvement associatif, a bousculé les politiques publiques et permis sa mise à l’ordre du jour. Le plus grand mouvement social mondial depuis 2017 constitue sans aucun doute celui des luttes contre les violences. Avec ce mouvement reviennent toutes les revendications d’égalité professionnelle, et plus généralement d’égalité dans la société, bénéfique pour toutes et pour tous.

[1] Margaux Collet et Alice Gayraud, L’impact du Covid-19 sur l’emploi des femmes, Fondation des femmes, mars 2021. Et dans ce numéro, Margaux Collet, «Face aux impacts du Covid-19 sur l’emploi des femmes, l’impératif d’une relance féministe», Silomag, n° 13, sept. 2021. URL : https://silogora.org/face-aux-impacts-du-covid-19-limperatif-dune-relance-feministe/

[2] Notamment, le rapport, « 10 ans de la loi COPE-ZIMMERMANN 2011-2021. Accès des femmes aux responsabilités. De la parité à l’égalité professionnelle », le 26 janvier 2021.

[3] Hélène Bidard et Shirley Wirden, « Metoo et MetooInceste: les victimes brisent le silence, aux pouvoirs publics d’agir! », Huffington Post, le 14 avril 2021.

[4] Rapport d’information n°602, « Le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes : une priorité politique qui doit passer de la parole aux actes », juillet 2020.

[5] Rapport 2018, « Où est l’argent contre les violences faites aux femmes ? », Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, décembre 2018 ; « Évaluation intermédiaire du 5e plan interministériel (2017-2019) et de la politique contre les violences faites aux femmes », HCE, novembre 2018.

[6] Rapport de la commission d’enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur

les enfants et la jeunesse, le 16 décembre 2020.

Pour citer cet article

Hélène Bidard, “Après #MeToo et #MeTooInceste : financer l’action publique à la mesure du problème !”, Silomag, n°13, septembre 2021. URL: https://silogora.org/apres-metoo-et-metooinceste-financer-laction-publique-a-la-mesure-du-probleme

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