Un an de pandémie a retardé de 36 ans, soit plus d’une génération, le temps nécessaire pour atteindre l’égalité entre les femmes et les hommes. Pourtant, le constat fait en avril 2021 par le Forum économique mondial[1] n’est pas une fatalité. Pour la Fondation des femmes qui a publié en mars 2021 l’étude L’impact du Covid-19 sur l’emploi des femmes[2], il est possible d’inverser la tendance et même, de profiter de ce nouvel élan économique pour faire reculer les inégalités entre femmes et hommes sur le marché du travail. À l’instar d’institutions, d’associations et d’économistes, la Fondation, par la voix de Margaux Collet, co-autrice de l’étude, plaide pour un plan de relance féministe.
Les confinements successifs: révélateurs et amplificateurs des inégalités femmes-hommes
Depuis le début de la crise sanitaire, la France a connu trois périodes de confinement, sur les périodes de mars-mai 2020, octobre-décembre 2020 et le mois d’avril 2021. Leur impact à court terme sur les inégalités entre les femmes et les hommes est désormais connu et documenté.
Le premier confinement en particulier, impliquant des restrictions importantes et inédites et la fermeture des écoles, a plongé l’ensemble des familles de France dans une situation extraordinaire, tant sur le plan professionnel que dans la sphère privée.
Beaucoup de spéculations laissaient alors présager un nouvel équilibre au sein des couples et ainsi augurer un nouveau partage des tâches. Dix-huit mois plus tard, toutes les études démontrent que le confinement a au contraire renforcé la répartition patriarcale des rôles au sein des foyers.
Premier facteur en cause : la prise en charge des enfants sans école a très majoritairement incombé aux femmes. L’INSEE nous apprenait, dès le mois de juin 2020[3], que 40% des femmes avaient consacré plus de 4 heures par jour aux enfants, soit le double des hommes.
Cet écart flagrant au sein des couples hétérosexuels avec enfants n’a pas été sans incidence sur la sphère professionnelle. Toujours selon l’INSEE, 21% des femmes ont dû arrêter de travailler à cette occasion, soit, encore une fois, le double des hommes.
Parmi les femmes qui ont travaillé depuis leur domicile, l’expérience a été moins bonne que pour les hommes. On sait que seules 25 % des femmes ont pu disposer d’une pièce dédiée à leur travail, contre 40% des hommes. Les femmes sont 13% de moins que leurs collègues hommes à avoir profité du confinement pour entretenir leur réseau professionnel, et 29% de moins à avoir cherché à prendre plus souvent la parole en réunion[4].
La crise à venir impactera d’abord l’emploi des femmes précaires
La crise de 2008 avait mis en lumière la vulnérabilité particulière des femmes face aux crises financières et économiques. Cette fois-ci, les économistes s’accordent sur un point : jusqu’ici, la crise du Covid-19 affecte les femmes avec une intensité particulière en Europe. La crise de 2008 avait touché en premier lieu l’industrie et la construction, celle du Covid-19 frappe les services, métiers au sein desquels les femmes sont plus nombreuses.
Non seulement les femmes sont surreprésentées dans les emplois précaires qui sont souvent la première variable d’ajustement – elles comptent pour 60% des personnes en CDD, 70% des vacataires, 83% des temps partiels –, mais elles le sont plus particulièrement dans les secteurs les plus touchés par la crise : hôtellerie, restauration, commerce, culture.
Elles sont aussi surreprésentées parmi les travailleur·euses non déclaré·es dans le secteur des services à la personne (ménage, garde d’enfants, etc.). Au « premier confinement », beaucoup d’entre elles se sont ainsi retrouvées sans contrat, sans revenu déclaré, et sans emploi du jour au lendemain, passant complètement sous les radars des aides Covid. Une situation qui laisse présager une bascule massive dans la précarité à court et moyen termes.
Enfin, certains emplois dont le caractère essentiel a été reconnu pendant la crise sont pourtant menacés de disparition. C’est le cas par exemple des caissières dont l’avenir est menacé par le mouvement d’automatisation des supermarchés, accéléré pendant la crise au nom de la sécurité sanitaire. L’Observatoire de l’emploi d’Île-de-France indiquait une baisse des offres d’emploi «personnel de caisse» de 26,6% entre janvier 2020 et janvier 2021.
C’est également le cas des sociétés de nettoyage, largement impactées par la réduction de l’activité économique, notamment du fait de la fermeture des bureaux et du développement massif et prolongé du télétravail. En effet, un certain nombre d’entreprises ont déjà pris la décision de réduire le nombre de leurs bureaux ou de les supprimer entièrement pour laisser durablement leurs collaborateur·rices en télétravail. Aussi, malgré les besoins de nettoyage plus approfondis et plus fréquents des surfaces, en Île-de-France, les offres d’emploi pour «nettoyage» publiées entre janvier 2020 et janvier 2021 ont baissé de près de 10%.
Premières touchées par la crise, les femmes seront pourtant parmi les plus impacté·es par la réforme de l’assurance-chômage. Celles qui ont perdu leur emploi, ou qui s’apprêtent à le perdre du fait de la crise économique, seront concernées par la réforme de l’assurance-chômage, entrée partiellement en vigueur le 1er juillet. Le durcissement de l’ouverture des droits entrera, quant à lui, en vigueur au plus tôt au 1er octobre. L’Unedic estime qu’avec la réforme, 40% des allocataires verront leur allocation diminuer, soit quelque 850 000 personnes.
Pour être indemnisé·e, il faudra désormais avoir travaillé au moins six mois au cours des vingt-quatre derniers mois, contre quatre sur vingt-huit aujourd’hui. L’indemnisation sera quant à elle calculée à partir du revenu moyen mensuel, et non plus en se basant sur les seuls jours travaillés. Les syndicats et associations féministes alertent depuis des mois sur le fait que ces changements impacteront prioritairement les femmes, largement surreprésentées parmi les travailleur·euses précaires, en emploi discontinu.
Les femmes grandes oubliées du plan de relance
Alors que les conséquences économiques de la crise sanitaire ont rendu visibles et accentué les inégalités entre les femmes et les hommes, les réponses apportées à la crise – plans de soutien à l’emploi et plan de relance économique – passent à côté de cet enjeu.
Pour tenter d’éviter les faillites et maîtriser les licenciements, le gouvernement a présenté, dès le mois de juin 2020, un certain nombre de plans de soutien sectoriels : plan en faveur du commerce de proximité, artisanat et indépendants; mesures de soutien au secteur du livre; plan de soutien au secteur du bâtiment et travaux publics; plan de soutien à l’aéronautique; plan de soutien aux entreprises technologiques; plan de soutien au secteur automobile. Des montants extrêmement importants ont ainsi été alloués à la protection et au redressement d’industries principalement masculines, et qui représentent une part de l’emploi salarié peu importante: 8 milliards d’euros pour l’automobile, 15 milliards pour l’aéronautique, 4 milliards pour les entreprises technologiques et enfin près de 8 milliards pour le secteur du bâtiment et des travaux publics. Non seulement les plans de soutien d’urgence oublient les femmes – largement sous-représentées dans ces emplois – mais ils limitent dans le même temps la potentielle création d’emplois, en ciblant des industries qui représentent une faible part du marché de l’emploi.
Même constat pour le plan «France relance» annoncé par le gouvernement en septembre 2020, à hauteur de 100 milliards d’euros. Ce plan investit et mise sur des filières considérées comme hautement compétitives qui caractérisent des secteurs d’activités dans lesquelles les femmes sont particulièrement sous-représentées. Parmi eux la transition écologique et le numérique en particulier, à hauteur de 30 milliards pour le premier et 7 milliards pour le second.
Or aujourd’hui, les métiers verts sont quasiment non mixtes: les femmes ne représentent que 16% des employé·es. Elles sont par ailleurs très peu nombreuses dans les secteurs à fort potentiel «verdissant» : c‘est le cas de la construction (10% de la main-d’œuvre), de l’ingénierie (moins de 15%), de l’industrie manufacturière (25%), ou des transports (26%)[5].
Il est certain que la transition écologique offre des opportunités d’emploi pour les femmes. Seulement, sans une politique volontariste de mixité dans ces emplois, il est fort à parier que les femmes n’en bénéficieront pas.
Dans le domaine du numérique et des hautes technologies, c’est à une forte régression de la part des femmes que l’on assiste: entre 2013 et 2017 la part des employées femmes a diminué de 11% et le nombre de diplômées de ces métiers a reculé de 6%. 300 millions d’euros du plan de relance sont directement dédiés à la formation aux métiers du numérique. De même que pour la transition écologique, la problématique de la non-mixité de ces métiers n’a, à ce stade, absolument pas été prise en compte.
Ce sont donc des secteurs largement monopolisés par les hommes qui sont appuyés par le plan de relance, quand les métiers du soin qui se trouvaient en «première ligne» ont bénéficié d’une timide revalorisation à l’occasion du «Ségur de la Santé».
Pour un plan de relance féministe
Notre étude tire la sonnette d’alarme. Il n’est pas encore trop tard pour profiter de l’élan économique donné par la relance pour faire reculer les inégalités entre femmes et hommes. Concrètement, nous listons 10 propositions, parmi lesquelles:
- Revaloriser financièrement les métiers dits «féminins» qui se sont trouvés en première ligne à l’occasion de la crise du Covid, à travers des négociations interprofessionnelles par branche permettant une augmentation des salaires des femmes dans le secteur privé, et par une revalorisation des métiers majoritairement féminins de la fonction publique, notamment au sein de l’éducation nationale et de la santé.
- Déployer un plan national de formation pour favoriser l’emploi des femmes et particulièrement la reconversion des secteurs les plus touchés (ex: permis de conduire gratuit, cours de code, soutien aux associations qui valorisent les parcours des femmes, etc.), et combler le retard pris par les femmes dans les filières dites d’avenir qu’il s’agisse de la transition écologique ou du numérique en mettant en place des objectifs chiffrés de 40% de filles d’ici 2025 dans les universités, écoles publiques et privées spécialisées dans les nouvelles technologies et la transition énergétique.
- Modifier la réforme de l’assurance-chômage de juillet 2019 dont les femmes seront les premières à pâtir et notamment en revenant en priorité sur le durcissement de l’ouverture des droits et sur le nouveau mode de calcul des indemnités.
- Appliquer l’éga-conditionnalité des plans de relance pour garantir que l’ensemble des financements publics soit subordonné au respect des obligations légales (pas un euro aux entreprises hors la loi), mais également à des conditions de mixité, de parité dans la gouvernance ou des mesures en faveur de l’égalité professionnelle.
Pour aller plus loin:
- L’ensemble des travaux Le monde, DEMAIN, du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes.
- Dominique Joseph et Olga Trostiansky, Crise sanitaire et inégalités de genre, avis de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité du Conseil économique, social et environnemental (CESE), mars 2021.
- «Pour la fête des mères, messieurs, voici la facture», Tribune à l’initiative de Parents & Féministes et Osez le Féminisme!, HuffingtonPost.fr, 7 juin 2020.
- Les Glorieuses, Pétition pour un plan de relance économique féministe, 28 octobre 2020.