Derrière les beaux discours, les cinq ordonnances s’inscrivent dans une cohérence brutale : faire baisser massivement le « coût du travail » en flexibilisant et en précarisant la situation des salariés. Elles reposent sur des postulats néolibéraux démentis par les faits.
À entendre les représentants du gouvernement et les dirigeants du Medef, les ordonnances réformant le Code du travail seraient parées de toutes les vertus. Elles viseraient à favoriser la création d’emplois, aider les PME, sécuriser l’esprit d’entreprise, renforcer le dialogue et la négociation collective au plus près du terrain, permettre au Nouveau monde des start-up de se dégager des lourdeurs de l’Ancien monde.
Pourtant, en prenant quelques distances avec le déluge de communication lénifiante que nous subissons, nous pouvons nous apercevoir assez vite que, derrière les belles paroles, les trente-six mesures décidées s’inscrivent toutes dans une cohérence brutale : faire baisser massivement le « coût du travail » en flexibilisant et en précarisant la situation des salariés.
Dans ce nouveau numéro de Silomag, plusieurs articles, dont les rédacteurs sont de sensibilités diverses, vont donner un aperçu des réformes passées et en cours tout en les replaçant dans une réflexion plus générale. Ils participeront ainsi à leur compréhension indispensable. Dans contribution, il s’agira de discuter les postulats néolibéraux sur lesquels repose l’argumentation dont nous sommes régulièrement abreuvés.
Flexibilité, chômage et précarité
Le premier de ces postulats affirme que l’allègement de la réglementation du travail permettra de favoriser la création d’emploi notamment dans les petites entreprises. S’opposer à la réforme gouvernementale équivaudrait, en quelque sorte, à faire le choix du chômage. Cette assertion relève d’une thèse centrale de la pensée libérale de la fin du XVIIIe et du XIXe siècle reprise par la pensée néolibérale qui domine l’économie et la politique depuis quarante ans. Il faudrait en tous domaines récuser ce qui pourrait brider l’initiative des entrepreneurs. Le cadre idéologique est donc clairement défini.
Mais la réalité ne correspond pas à l’idéologie. Le Code du travail ne fait pas partie, tant s’en faut, des causes principales qui freinent les embauches. Dans son enquête annuelle de conjoncture publiée le 15 juin dernier, l’INSEE a introduit de nouvelles questions sur les « barrières au recrutement ». Citées par 28% des entreprises, l’incertitude sur la situation économique ainsi que la difficulté à trouver de la main-d’œuvre compétente (27 %) viennent largement en tête. La réglementation du marché de l’emploi ne pèse que 18 %.
Cela illustre que le chômage a des racines beaucoup plus profondes que ce que veut nous faire croire la campagne de promotion des ordonnances. Cela signifie également, en creux, que la régression des droits des salariés ne sera en aucun cas de nature à le combattre efficacement.
Le gouvernement et les commentateurs sont d’ailleurs mal avisés de prendre au pied de la lettre les arguments avancés par le Medef dans ses opérations de lobbying. Souvenons- nous du million d’emplois qui devait suivre l’instauration du CICE (Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi). Sauf sur le badge arboré durant quelques semaines par le M. Gattaz nul n’en a vu la couleur…
Le deuxième postulat sur lequel repose la défense des ordonnances consiste à présenter la flexibilité accrue sur laquelle débouchera l’affaiblissement des droits des salariés comme un moyen efficace au service, là encore, de la création d’emplois. N’oublions pas que la flexibilité du travail – baptisée flexisécurité – par la novlangue technocratique et néolibérale est depuis plus de quinze ans la ligne officielle de l’Union européenne. Dans toute cette période, des injonctions répétées ont été adressées à la France par la commission ayant pour leitmotiv le caractère impératif de réformer le marché du travail. La loi El Khomri de 2016 et les présentes ordonnances représentent un saut qualitatif dans la concrétisation de cet objectif.
Dans ce débat récurrent, l’Allemagne est régulièrement citée en exemple. Les lois Hartz qui ont été adoptées entre 2003 et 2005 sous le gouvernement de Gerhardt Schröder constituent pour la pensée économique dominante le modèle en matière de réforme du marché du travail pour plus de flexibilité. Il est piquant de souligner que Peter Hartz, inspirateur de ces réformes, était le directeur du personnel de Volkswagen. Muriel Pénicaud, ministre française du Travail, était directrice des ressources humaines du Groupe Danone. Mimétisme quand tu nous tiens…
Quinze ans après la première loi Hartz, la situation sociale de l’Allemagne s’est très significativement dégradée en même temps que s’est développé le nombre de ses travailleurs pauvres. Selon l’institut européen de statistiques Eurostat, le taux de pauvreté en Allemagne était, en 2015, de 16,7 % alors qu’il s’élevait à 13,6 % en France[1] (ce qui est déjà trop !). La même étude indiquait que 9,7 % de la population allemande dotée d’un emploi vivait effectivement en dessous du seuil de pauvreté.
Ce rappel de la situation allemande permet deux conclusions partielles. Tout d’abord, la flexibilité ce n’est pas l’emploi au sens souhaité par le plus grand nombre ; l’emploi qui permet de sécuriser son existence, de faire des projets, de construire un avenir. Rendre le licenciement plus facile et les contrats plus « souples » débouche immanquablement sur le développement de l’emploi précaire et du nombre de travailleurs pauvres. Ensuite, le modèle allemand sur lequel on nous somme de nous aligner n’est pas celui du mieux-être, mais celui de la régression sociale.
De surcroît, nul ne peut passer sous silence que si la flexibilité est très présente dans les réformes mises en œuvre et dans les ordonnances, le volet sécurités nouvelles pour les salariés, présenté comme la contrepartie naturelle de la flexisécurité, est très largement absent. C’était également le cas en Allemagne. Cela relève d’une philosophie identique.
Soulignons, pour clore ce chapitre, que cette obsession de la baisse du coût du travail illustre les préoccupations à courte vue d’un certain patronat soucieux avant tout de ses résultats financiers.
En effet, il est illusoire de penser que la France pourra fonder son rayonnement économique en participant à la course au dumping social. Les atouts du pays sont ailleurs même s’ils sont affaiblis par la crise : une main-d’œuvre très qualifiée, une recherche de qualité, des infrastructures largement présentes sur le territoire, des services publics de bon niveau, une protection sociale encore effective… Ce sont ces atouts-là qu’il faut développer alors que les politiques d’austérité les mettent en cause.
Les PME comme paravent des grands groupes
Le troisième argument mis en avant pour justifier ces ordonnances est celui des PME. Les nouveaux textes auraient d’abord pour objectif de leur faciliter la vie. Nous retrouvons là un vieux classique. Les grandes entreprises, les groupes et les multinationales ont toujours su se cacher derrière les petites entreprises pour conduire leur lobbying. Encore une fois pour ne pas se laisser rouler dans la farine, il convient de regarder les faits.
Rappelons tout d’abord que les organisations syndicales ont toujours affirmé qu’elles étaient prêtes à discuter de simplifications du Code du travail non régressives et traitant les problèmes nouveaux induits par les transformations du travail lui-même. Cela leur a été refusé.
Rappelons ensuite que, si dans les textes rendus publics un certain nombre de mesures concernent spécifiquement les entreprises de moins de 50 ou de moins de 20 salariés, l’essentiel s’applique à toutes les entreprises y compris les plus grandes.
Qui pourra faire croire que la limitation au périmètre national pour juger de la viabilité économique d’un site appartenant à une multinationale vise à aider les PME ? C’est une revendication des grands groupes reprise telle quelle par les ordonnances. Elle est de nature à changer la donne au détriment des salariés. Avec cette mesure les Molex ou les Continental n’auraient pas pu contester juridiquement leur liquidation. Quant à la promesse que tout sera fait pour combattre la mise en difficulté artificielle des sites, elle ne peut convaincre que les naïfs.
La suppression des CHSCT (Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) organisée au prétexte du regroupement des instances représentatives est une revendication du CNPF (ancêtre du Medef) depuis leur création en 1982. Il s’agissait, et il s’agit toujours, pour l’organisation patronale de limiter au maximum les risques de voir la responsabilité des entreprises engagée dans les maladies professionnelles.
L’affaiblissement du rôle de la loi au regard de celui de la branche ou de l’accord d’entreprise renforce considérablement le pouvoir patronal dans la définition et l’évolution future des normes sociales. Le CNPF puis le Medef l’ont toujours réclamé. Le Macronisme parachève le processus déjà entamé sous N. Sarkozy et F. Hollande !
Affaiblir les syndicats, c’est nier le dialogue social
Abordons pour terminer l’argument du dialogue social. En cette matière les ordonnances s’inscrivent une fois encore dans la conception du Medef. Le dialogue social ne peut être appréhendé qu’avec des interlocuteurs qui ne remettent pas en cause vos décisions sauf à la marge. Pour cela, il faut affaiblir les syndicats surtout les plus combattifs. Cette logique traverse tous les textes. Le « regroupement » des instances représentatives vise une réduction des moyens d’action syndicaux. Rendre la négociation possible avec un élu du personnel non mandaté par un syndicat dans les entreprises de 20 à 50 salariés et même avec un salarié non élu dans les entreprises de moins de 20 salariés est un pas important vers la remise en cause du statut de syndicat représentatif.
C’est en réalité un affaiblissement du dialogue social. Pour être réel, ce dernier doit être équilibré. Or, dans l’entreprise, les salariés sont dans un lien de subordination au regard de l’employeur. Pour qu’il puisse exister un dialogue d’égal à égal et non de supérieur à subordonnés, les syndicats sont indispensables. Plus encore, un véritable dialogue social implique des syndicats forts. Les réformes en cours visent à l’inverse à leur affaiblissement.