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Révolution, vous avez dit révolution?

Révolution, vous avez dit révolution?Temps de lecture : 5 minutes

Dans son ouvrage de candidat Révolution, Emmanuel Macron annonce vouloir mettre un coup de pied dans la fourmilière des conservatismes en tous genres et propose de révolutionner la société pour répondre aux grands bouleversements en cours. Mais de quelle révolution parle-t-il? Si elle épouse le rejet de la politique telle qu’elle s’exerce aujourd’hui, elle semble plutôt relever de l’adaptation au capitalisme mondialisé, posant ainsi la question du détournement du sens que les Français accordent majoritairement au mot révolution.

Élu au printemps 1969, à l’âge de 58 ans, à la présidence de la République française, Georges Pompidou tenait à l’automne une conférence de presse. Répondant à une question sur le suicide de Gabrielle Russier, professeure de lettres de 31 ans, divorcée et mère de deux enfants, qui fut emprisonnée pour une relation amoureuse avec l’un de ses élèves âgé de 16 ans, ce dernier cita des vers de Paul Eluard. Des vers inspirés par le triste spectacle des femmes tondues à la libération : « Comprenne qui voudra / Moi, mon remords, ce fut / La victime raisonnable au regard d’enfant perdue / Celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être ruinés ». Puis, le président Pompidou se leva et quitta la salle sans un mot. Quarante-huit ans plus tard, libéral et progressiste affiché en matière de mœurs, le Président de la République française, Emmanuel Macron, est marié à une femme de 25 ans son aînée qu’il a connue adolescent alors qu’elle était son professeur de lettres.

Emmanuel Macron dit vouloir offrir ni plus ni moins qu’une révolution

Dans Révolution[1], son ouvrage de candidat paru en 2016, loin d’éluder ce que certains considèrent comme une transgression, d’autres comme une libération, le Président de la République, fort de sa capacité à capter notre époque, fait montre dans le domaine politique, cette fois,  de la même détermination et du même « naturel » pour donner ce qu’il annonce être un coup de pied dans la fourmilière des conservatismes en tous genres.

Aussi, en matière politique, entre une gauche « radicale » réduite à la protestation qui place le nouveau clivage central dans l’opposition entre « le peuple » et « les élites », une social-démocratie vide à force de reniements et une droite figée, il dit vouloir offrir ni plus ni moins qu’une révolution.

C’est pourquoi, point de programme, mais « une vision, un récit, une volonté » de « réconcilier la France ». En d’autres termes, briser les rentes de situation et libérer par là même les énergies. Projet global, fort de sa cohérence qui viserait à « construire une prospérité du XXIe siècle ».

À bien des égards, le lecteur ne peut qu’adhérer à tant d’évidences. Par exemple :

« Nos partis politiques sont morts de ne plus s’être confrontés au réel […]. C’est une fatigue démocratique, les déceptions que ce nouveau système engendre, qui nourrissent son affaiblissement même et l’inexorable progression des extrêmes ».

Aussi, conviendrait-il, selon lui, que nous reconnaissions que « le véritable clivage aujourd’hui est entre les conservateurs passéistes qui proposent aux Français de revenir à un ordre ancien, et les progressistes réformateurs qui croient que le destin français est d’embrasser la modernité. Non pour faire table rase, ou pour s’adapter servilement au monde, mais pour le conquérir en le regardant bien en face ».

Et d’asséner sa lecture politique :

« Pour autant, peut-on remplacer le monde tel qu’il va ? Je ne le crois pas. Mais on  peut le changer en profondeur si l’on décide d’en comprendre la dynamique propre. La civilisation dans laquelle nous entrons est celle d’une société dont les contours ne sont plus un seul pays, mais le monde. Elle est faite de flux de marchandises, d’hommes, d’argent, partout et en permanence, à travers la planète. Elle vient donc bousculer une organisation qui reposait avant tout sur des États-nations qui réglaient l’essentiel de nos vies […] ».

«Cette grande transformation nous oblige tous»

Dont acte, oui « Nous sommes plongés dans le monde. Qu’on le veuille ou non ». Cependant, loin d’abdiquer son appartenance nationale, le Président Macron dit vouloir en faire à la fois son but et son moyen. La France, ce bloc (il reprend à dessein le mot que Clemenceau appliquait à la Révolution française pour en désigner l’indivisibilité), mérite, selon lui, d’être mise en état d’être de ce monde-là.

Et mieux, de peser sur la manière dont il doit se constituer ! Mais comment ?

« Nous sommes en train de vivre un stade final du capitalisme mondial qui, par ses excès, manifeste son incapacité à durer véritablement », estime Emmanuel Macron. « Les excès de la financiarisation, les inégalités, la destruction environnementale, l’augmentation inexorable de la population mondiale, les migrations géopolitiques et environnementales croissantes, la transformation numérique : ce sont là des éléments d’un grand bouleversement qui nous impose de réagir », argumente-t-il encore. Et l’auteur délivre son message essentiel :

« Cette grande transformation nous oblige tous. Refuser les changements du monde en nous contenant de rafistoler un modèle crée pour avant-hier, ce n’est pas la France. […] Les Français le savent bien et ils sont prêts à réinventer notre pays ».

Construire, à partir de ce qu’est et représente encore la France, un projet dit libérateur. Cinq chapitres sur seize le déclinent : La France que nous voulons, Produire en France et sauver la planète, Réconcilier la France, Vouloir protéger la France, protéger les Français. Arguties électorales ou pas, cela est martelé. Ce qui l’est moins voire pas du tout concerne la démocratie. Et c’est là, nous semble-t-il, que le bât blesse. Car « Rendre le pouvoir à ceux qui font », titre d’un chapitre, élimine de fait la masse des  chômeurs, des laissés pour compte, des précaires, de tous les « empêchés », en bref, des exclus de la vie politique. Du reste, comment comprendre que si 20,7 millions de suffrages se sont portés sur son nom, le 7 mai 2017, 12 millions d’électeurs ont choisi de rester chez eux et 3 millions l’abstention ou le vote blanc alors que la candidate du FN réunissait 11 millions de voix ? Comment comprendre que cette prise maximale de distance notamment des classes populaires avec la politique est le fait politique majeur de notre époque ? À ce propos, Richard V. Reeves, chercheur américain en économie, avance dans Classes Sans Risque[2] que les « classes moyennes supérieures, gardent l’assurance de passer entre les gouttes » des conséquences destructrices de la mondialisation. Aussi ironise-t-il de manière salutaire :

« Si vous souhaitez bâtir une force politique destinée à changer le pays, il n’est pas sage de vous attaquer à un électorat aussi tentaculaire que les classes moyennes supérieures. Mieux vaut prendre pour cible un groupe plus clairsemé ou qui n’a pas son mot à dire. C’est la raison pour laquelle les conservateurs accusent les pauvres et les immigrés de tous les maux, tandis que la gauche va répétant que c’est le 1 % de super-riches qui ruinent l’Amérique. […] Or la crainte paralysante d’effaroucher cette force sociale lui permet de continuer à prospérer pendant que la majorité fait face à des difficultés croissantes. Admettre cette réalité est une première condition pour créer un climat politique propice à un changement réel ».

Plutôt qu’une révolution, une adaptation au capitalisme mondialisé

En fait de révolution, la réalité montre qu’il s’agit ni plus ni moins que d’une adaptation au capitalisme mondialisé, cet « ouragan perpétuel » évoqué par Schumpeter. Adaptation à la barbarie économique qui ne se voit pas opposer de réel rapport de forces. Adaptation qui s’appuie d’abord sur cette classe sans risques, celle d’où vient le Président Macron, classe montante censée devenir le fer de lance d’une dynamique souhaitée par une petite majorité d’électeurs dans un pays fatigué et privé, pour l’heure, d’une alternative progressiste un peu conséquente. En d’autres termes, si le vocable révolution désigne une succession d’évènements résultant d’un projet, d’un programme, d’une idéologie, tout cela à la fois consiste très clairement chez Emmanuel Macron à une contre-révolution de type néolibérale, c’est-à-dire anti-populaire et destructrice de bien des avancées économiques, sociales et politiques.

 

[1] Emmanuel Macron, Révolution, Paris, XO Editions, 2016, 267 p. En 2017, une nouvelle édition a été publiée aux éditions Pocket, augmentée du discours qu’il a prononcé le 7 mai 2017, après l’annonce de son élection à la Présidence de la République (Paris, Pocket, 2017, 255 p.).

[2] Richard V. Reeves, « Classe sans risques », Le Monde diplomatique, octobre 2017.

Pour citer cet article

Valère Staraselski, « Révolution, vous avez dit Révolution  », Silomag, n° 5, nov. 2017. URL : https://silogora.org/revolution-vous-avez-dit-revolution/

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