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Algorithmes : reprendre le contrôle

Algorithmes : reprendre le contrôleTemps de lecture : 3 minutes

De Parcoursup à nos navigations sur le web ou les réseaux sociaux en passant par les rencontres amoureuses et l’achat d’un billet de train, notre vie quotidienne est désormais conditionnée par les algorithmes. Il en va de même dans le travail, dans le management des entreprises et dans celui des salariés, dans l’attribution et le contrôle des prestations sociales, dans la santé ou encore dans la finance. Cette question est souvent considérée comme étant l’apanage de spécialistes, alors qu’elle est en fait très politique. Elle est directement liée à la question du pouvoir qui s’exerce aux différents niveaux. En effet, les algorithmes sont avant tout la traduction de la volonté de quantifier le monde et d’imposer des critères de décision et d’évaluation qui relèvent des partis pris des classes qui dominent la société.

 

Une conception déshumanisée de la rationalité

Dans cette logique, ce qui n’est pas aisément quantifiable est nié. Les interactions sociales et l’attention aux autres qui fondent les solidarités sont évacuées de la réflexion. Cela fait prévaloir une conception déshumanisée de la rationalité et une standardisation des comportements. Ce sont les humains qui doivent s’adapter voire se soumettre aux injonctions des machines décrétées par le calcul. Les présupposés du néolibéralisme deviennent la « nouvelle raison du monde »[1] et contribuent à transformer en profondeur le capitalisme.

La dépossession des compétences des travailleurs subordonnés aux logiciels recompose le travail et les métiers. Elle entraine de plus en plus une perte de sens. Elle engendre une difficulté croissante à trouver un accomplissement personnel dans le travail. Elle contribue à détruire les collectifs et favorise l’ubérisation et le développement des bullshit jobs. De son côté, la dématérialisation de l’accès aux services publics – présentée comme une modernisation – rime aujourd’hui trop souvent avec leur dégradation. Elle impacte au quotidien des millions d’usagers, entretient la perception d’un abandon croissant des territoires et accroît le mal-être des agents. Dans le travail, dans les services publics, dans la vie quotidienne des citoyens, les algorithmes sont aujourd’hui trop souvent utilisés dans une optique de surveillance généralisée.

 

Une nouvelle source de rentabilisation des capitaux

Ils constituent également une nouvelle source de rentabilisation des capitaux permettant à des multinationales d’exploiter, à leur profit, d’immenses bases de données. Ces entreprises géantes – essentiellement nord-américaines et chinoises – ont acquis des positions dominantes, voire monopolistiques qui leur confèrent un pouvoir démesuré sur l’ensemble de la société. Il en va de même des marchés financiers. Le trading haute fréquence qui y occupe une place désormais structurante, accentue l’instabilité des marchés et stérilise dans la spéculation, des ressources qui pourraient être utilisées à des investissements utiles pour le développement humain et la transition écologique.

L’objet de notre propos n’est pas de combattre par principe l’utilisation des algorithmes. Il est de contribuer à la prise de conscience collective de l’ampleur du pouvoir qu’ont pris ceux qui les maîtrisent. Il vise aussi à mettre en exergue la nécessité de les concevoir et de les utiliser à d’autres fins ; la nécessité de mettre en place des procédures démocratiques à tous les niveaux pour maîtriser socialement leur développement. En effet, il n’existe pas de neutralité technologique. Les algorithmes sont les produits des représentations de leurs concepteurs et conceptrices qui poursuivent des objectifs de nature sociale, économique et politique et qui ont tendance à reproduire les cultures, les hiérarchies sociales et les usages existants.

 

Un enjeu de maitrise sociale

Cela montre l’importance de favoriser le déploiement, dans l’ensemble de la population, d’une culture scientifique indispensable pour comprendre et agir dans la société contemporaine. C’est la condition pour permettre à chacune et chacun de développer une distance critique face aux technologies, d’avoir les moyens réels de consentir de manière éclairée aux contraintes voire aux atteintes à des libertés qui peuvent en découler. C’est la condition pour reprendre la maîtrise sociale et publique de ces tournants technologiques majeurs. L’enjeu est de les mettre au service d’objectifs économiques, sociaux et environnementaux qui leur auront été démocratiquement assignés.

[1] Pierre Dardot et Christian Laval, La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibéral, La découverte, 2010.

Pour citer cet article

Louise Gaxie et Alain Obadia, « Algorithmes : reprendre le contrôle », Silomag 15, juillet 2022. URL : https://silogora.org/algorithmes-reprendre-le-controle/

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