De la centralité des bases de données “ground truth” dans la construction des systèmes algorithmiques

Les méthodes informatiques de calcul – souvent appelées « algorithmes » – alimentent le fonctionnement de dispositifs ordinaires. Moteurs de recherche, réseaux sociaux, systèmes de surveillance, plateforme d’achats en ligne : qu’on le veuille ou non, nous ne cessons d’interagir avec ces systèmes numériques ainsi qu’avec les algorithmes qui fondent leurs mécanismes internes. Comment reprendre la main sur ces entités souvent présentées (à raison) comme opaques, arbitraires et vectrices d’inégalités ? En se basant sur les résultats d’enquêtes ethnographiques récentes, Florian Jaton propose de se focaliser sur les bases de données référentielles – souvent appelées ground truth – qui sont au fondement du travail de construction algorithmique.

Discriminations algorithmiques, modération des réseaux sociaux et militantisme

Les entreprises détentrices des réseaux sociaux comme Twitter, Facebook, YouTube, TikTok (pour ne citer que ceux-là) ont de plus en plus recours à des systèmes d’IA pour réguler les contenus en ligne. Cependant, cette délégation de la modération à des outils automatisés semble aller de pair avec l’apparition de nouvelles formes de discriminations en ligne. Ainsi, en plus de faire face aux violences et attaques de groupuscules d’extrême droite, les militant·e·s de gauche et issu·e·s de communautés minorisées sont de plus en plus confronté·e·s à des risques de censure abusive en ligne. Thibaut Grison explique dans cet article pourquoi se saisir des technologies algorithmiques constitue un enjeu politique en particulier pour la gauche.

L’impératif de la sobriété numérique

Le fonctionnement qui nous apparaît souvent mystérieux de l’informatique brasse son lot de représentations fantasmées et éthérées. Quoi de plus nébuleux que le « cloud computing » (informatique en nuage, en québécois) pour susciter une impression flottante d’apesanteur et de légèreté, à distance des mines d’extraction de silicium et des salles de serveurs lourdement climatisées ? Culpabilisés et mal-informés des conséquences d’une consommation de biens et de services numériques qu’ils n’ont pas toujours choisie, les citoyens n’en demeurent pas moins constamment incités à plus de consommation numérique. Fabrice Flipo réoriente notre regard en posant la question du gain réel de cette révolution industrielle. Les profits nouveaux que suscite une gestion plus efficiente des ressources alimentent une offre plus diversifiée de produits, donc de nouveaux besoins, entretenant ainsi une croissance économique néfaste pour la planète.

Faire consentir à un avenir probable ou l’instrumentalisation algorithmique

Le fétichisme de la quantification ininterrompue du monde et la puissance divinatoire que ses rentiers nous louent reposent sur un empirisme naïf, non-dénué de présupposés théoriques, et pour le moins, technocratiques. Dans cet extrait, Cédric Durand montre ainsi que cette posture épistémologique relève d’une stratégie économique qui vise à enregistrer, surveiller et orienter les comportements. Il s’agit pour les firmes du capitalisme de plateformes de maximiser leurs profits par l’optimisation du degré de certitude des probabilités qu’elles produisent et instrumentalisent, en extrayant toujours plus de données sur la vie des individus, incités à se soumettre en retour au modèle prédictif qui leur est proposé.

Hypermatérialisation du «tout numérique» et enjeux industriels

La croissance exponentielle du numérique et de son empreinte carbone nous mène-t-elle dans l’impasse ? Si des avancées technologiques promettent un numérique plus sobre, les applications concrètes sont encore peu nombreuses. Pour Sylvain Delaitre, il est donc urgent de limiter l’inflation des données, la production effrénée et très polluante de matériels électroniques et de replacer les enjeux technologiques et industriels associés dans le cadre de la délibération démocratique. L’implication des salariés, des scientifiques, des usagers citoyens dans les prises de décision stratégique permettrait de reconstruire des filières industrielles de technologies de pointe en phase avec les besoins humains et environnementaux.

La révolution culturelle du capital: du capitalisme cybernétique au cybernanthrope

L’essor des technologies numériques participe de la transformation actuelle du capitalisme. Les structures de l’économie des plateformes et la segmentation des grandes firmes en unités autonomes interdépendantes procèdent d’un même modèle réticulaire d’organisation et de transmission de l’information. Dans cet article, Maxime Ouellet montre les liens entre le développement technique des algorithmes et l’idéologie néolibérale. En appréhendant la technologie comme une forme d’objectivation des rapports sociaux, il dépeint comment la gouvernance algorithmique travaille à généraliser une rationalité purement économique en l’imposant au consommateur dans toutes les dimensions de sa vie.

Algorithmes, rythmes douloureux des applications de rencontre

Si le marché de la rencontre entre célibataires ne date pas du développement des technologies numériques – en France, les premières agences matrimoniales apparaissent dès le début du 19e siècle –, l’essor d’internet en a généralisé l’accès. La profusion des sites de rencontre permet désormais de consulter, en quelques clics sur son téléphone, des catalogues inépuisables de partenaires potentiels. Philippe Lefebvre souligne ici l’incidence psychique de cet état de fait, où se mêlent réification et addiction aux shoots de renarcissisation.

La surveillance par l’IA, un modèle qui se généralise

Quand on s’interroge en 2022 sur l’utilisation des traces numériques que nous semons quotidiennement, la lecture du célèbre roman d’anticipation 1984 de George Orwell peut nous sembler bien fade sur certains aspects. Big Brother est aujourd’hui un marché concurrentiel mondial d’entreprises privées spécialisées dans le recueil de données biographiques et leur traitement par des intelligences artificielles. Deux pôles clairement identifiés s’affrontent dans la course à l’innovation : la Chine et les États-Unis. Dans cet article Hélène Jeannin propose une vue d’ensemble des applications et des implications relatives à la généralisation des technologies de surveillance, que favorisent les dynamiques de concentration urbaine de la population mondiale. Big Brother veille autant qu’il surveille au su et au vu de toutes et tous, au point d’orienter les comportements de manière insidieuse. La gouvernementalité algorithmique au service de la révolution anthropologique du néolibéralisme ?

L’identification biométrique des citoyens au Kenya. Une question très politique

Le marché africain de l’identification biométrique est en forte expansion depuis 2010. En s’appuyant sur le cas du Kenya, Héloïse Grard met en perspective les enjeux politiques du développement contemporain de cette technologie d’État au regard de la domination coloniale européenne passée. L’assignation à chaque citoyen.ne d’un numéro d’identification unique regroupant l’ensemble des informations connues par les administrations suscite aujourd’hui des mobilisations, pour éviter notamment qu’une partie de la population soit écartée de la reconnaissance juridique et des droits afférents, en raison des contraintes techniques de convergence des bases de données.

Le paramétrage politique des algorithmes de Parcoursup. Entretien avec Vincent Tiberj

Les politiques néolibérales des gouvernements successifs n’en finissent pas de saper les fondements du service public de l’éducation depuis 20 ans. En 2018, la loi Orientation et réussite des étudiants met en place la plateforme Parcoursup pour affecter les étudiant.e.s dans les formations de l’enseignement supérieur. Elle entérine un principe de sélection, tout en produisant et concentrant un volume conséquent d’informations dont sont friands les marchés pour leur fonctionnement. A partir de son expérience à Science Po Bordeaux, Vincent Tiberj nous éclaire dans cet entretien sur les implications concrètes des algorithmes de sélection dans l’enseignement supérieur.