Mardi 4 février 2025 : le président des Etats-Unis, Donald Trump, reçoit le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et tient un discours fracassant sur l’avenir de Gaza et des Gazaouis.
Auparavant, le 25 janvier 2025, D. Trump avait déjà prononcé quelques phrases chocs devant des journalistes présents dans Air Force One. La bande de Gaza est pour lui « un chantier de démolition ». Il évoqua une expulsion des Gazaouis « temporaire ou à long terme », « On parle d’environ 1,5 million de personnes, et on fait tout simplement le ménage là-dedans. Je préférerais m’impliquer avec certaines nations arabes et construire des logements à un autre endroit où ils pourraient peut-être vivre en paix pour une fois. »
Ces positions ne sont cependant pas nouvelles et s’alignent sur l’extrême droite israélienne. Le quotidien israélien de droite Israel Hayom, révélait fin novembre 2023 que B. Netanyahou avait chargé l’un de ses plus proches, Ron Dermer, ministre des affaires stratégiques, d’élaborer un plan pour « réduire la population de Gaza au minimum ». Israel Hayom ajoutait à l’époque qu’« il ne s’agi[ssai]t pas d’un transfert, mais plutôt d’un assouplissement de l’emprise sur les frontières de Gaza ». Il s’agit aujourd’hui, selon le même journal d’« évacuation » et d’« émigration massive ».
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Pendant la conférence de presse du 4 février, D. Trump déclare que « Les États-Unis vont prendre le contrôle de la bande de Gaza et nous allons faire du bon boulot avec. Nous la posséderons et serons responsables du démantèlement de toutes les bombes dangereuses qui n’ont pas explosé et de toutes les armes ». On va :« aplanir la zone et se débarrasser des bâtiments détruits », afin de développer économiquement le territoire. « Je vois une prise de contrôle à long terme» de la bande de Gaza et «je vois apporter une grande stabilité à cette partie du Moyen-Orient, et peut-être à tout le Moyen-Orient. Tous les gens à qui j’ai parlé aiment l’idée que les États-Unis prennent le contrôle de ce territoire », a affirmé le président américain. Son vœu est de faire de Gaza la « Côte d’Azur du Moyen-Orient ». Pour ce faire, il appelle à déplacer l’ensemble de la population gazaouie hors de l’enclave.
Des mots pour le dire
Le langage, les mots que nous utilisons renvoient à ce qu’ils désignent dans le réel. Mais cette relation n’est pas simple : à un objet du réel ne correspond que rarement un et un seul mot. À ce titre, le langage est porteur de vérité comme de mensonge ; mais aussi le plus souvent d’approximations. Le rapport des mots aux choses, particulièrement quand ces choses appartiennent au monde social, est le plus souvent complexe, exprimant la diversité des valeurs et des opinions que nous y attachons.
Ainsi, par quels mots ou expressions nommer le processus historique que veulent enclencher l’extrême droite israélienne et D. Trump à Gaza ?
Une grande partie des media français a choisi des verbes qui ont la caractéristique de s’appliquer autant à des objets qu’à des êtres humains. Ce sont « déplacer, transférer, évacuer » : on déplace sa voiture, on transfère des marchandises, on évacue la vapeur. Ces verbes occultent qu’on parle de personnes et non d’objets. Ils procèdent d’une entreprise de déshumanisation des Gazaouis que Trump avait engagée en parlant « d’un chantier de démolition, de faire le ménage là-dedans ».
Les media ont aussi employé le verbe « expulser », qui replace les Gazaouis dans le processus. Ce verbe requiert en effet un ou des agents qui sont à l’origine de l’action, et une ou des personnes qui en sont la cible. Cependant, les responsables potentiels d’une telle expulsion des Palestiniens de la bande de Gaza ne sont jamais nommés avec précision. Le processus d’expulsion semble se dérouler sans responsable : « on expulsera, il sera procédé à une expulsion ».
La question de la volonté des populations, de leurs désirs en tant qu’êtres humains concernés au premier chef par ce processus historique est souvent exprimée par des qualificatifs comme « volontaire ou pas », « forcé ou non », « définitif ou pas », « temporaire ou à long terme ». Ces qualificatifs semblent laisser leur libre arbitre aux populations qui auraient un choix dans le futur de leur territoire. Ils servent à euphémiser la brutalité et la violence que portent les verbes « déplacer, transférer, évacuer, expulser ».
Un paradigme de la vérité
Très rapidement, la Chine s’est opposée à ce projet et a parlé de « transfert forcé ». Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Lin Jian, interrogé au sujet des projets du dirigeant américain lors d’une conférence de presse déclara : « La Chine a toujours soutenu le fait qu’une gouvernance palestinienne sur les Palestiniens était le principe de base de la gouvernance d’après-guerre de Gaza et nous sommes opposés au transfert forcé des habitants de Gaza ».
En France, seuls des media de gauche, comme Mediapart, Libération ou L’Humanité, ont fait le choix de désignations exprimant une critique forte et rétablissant la vérité sur ce processus historique. Sans euphémismes, iIs ont dit le vrai en parlant de : « épuration ethnique, nettoyage ethnique, déportation ». Ainsi le 10 février 2025, Daniel Schneidermann écrit dans sa chronique que Trump veut « déporter les Gazaouis dans différents pays riverains ».
Le paradigme « déporter, déportation, déportés », que peu de media français ont eu le courage de décliner, s’inscrivit dans un contexte politique particulier puisqu’au moment de la conférence de presse Trump-Netanyahou, nous venions de commémorer les 80 ans de l’ouverture des camps de concentration d’Auschwitz-Birkenau par l’Armée Rouge, le 27 janvier 1945, et de la libération des déportés.
Raviver un tel paradigme, c’était rappeler que les déportés de la Seconde guerre mondiale étaient communistes, homosexuels, tsiganes, et majoritairement juifs. Et ce sont les descendants de ces déportés d’hier qui, aujourd’hui dans l’État d’Israël gouverné par l’extrême droite, s’apprêtent à déporter à leur tour les Gazaouis.
On attribue à Karl Marx la formule « l’histoire ne se répète pas, elle bégaie » ; une formule particulièrement pertinente aujourd’hui. On peut même dire concernant Israël qu’elle bégaie de façon continue depuis 1948 quand, après la Shoah, il fut procédé à l’expulsion sans autorisation de retour et à la confiscation des biens de près de 800 000 Palestiniens, ce qu’eux-mêmes ont nommé « la nakba » (« la catastrophe » en arabe).
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