Les dernières réformes du droit du travail en Europe, dictées par la logique capitaliste, ont engendré plus de précarité et moins de droits et de protections pour les travailleurs. Daniel Cirera revient sur les dernières réformes en date en Allemagne et en Italie.
La réforme/refondation du code du travail dans les ordonnances imposées à marche forcée par le tout nouveau Président français, prend place dans le cadre large européen des « réformes structurelles ». Elles s’inscrivent dans les transformations du rapport entre le travail et le capital, soumis aux exigences du déploiement capitaliste à l’échelle du monde. Ce redéploiement ininterrompu – précisé et accéléré dans les années 1990, malaxé par les nouveaux rapports de force et les crises – reçoit une nouvelle impulsion avec la crise systémique de 2008, européanisée en 2009/2010.
Il est ainsi intéressant de regarder avec ce recul ce qu’ont été ces réformes, dans des pays voisins et comparables, comme l’Allemagne et l’Italie. Cet examen critique est d’autant plus nécessaire et stimulant que ces politiques sont vantées comme des « modèles » exemplaires, à une opinion et à un « peuple » présentés comme « hostiles aux réformes », selon les paroles sentencieuses, arrogantes et dérisoires du Président. On pourrait aussi se pencher sur ce qu’ont été et sont encore les affrontements sur les réformes du marché du travail – comme des retraites – dans des pays comme la Belgique ou la Finlande, ou dans un autre contexte en Espagne. Restons-en aux cas qui font référence.
Allemagne : les lois Hartz (2002-2005)
Les milieux dirigeants français économiques et politiques ont fait des lois Hartz, mises en œuvre par Gerhard Schröder entre 2002 et 2005, le « modèle » de la réussite. Ces lois ont changé fondamentalement l’organisation du travail en Allemagne, comme les conditions d’indemnisation du chômage. Elles ont encouragé massivement des formes d’emplois atypiques. La réduction du chômage s’est traduite, de fait, par une explosion de la précarité et des bas salaires comme de la pauvreté ; non sans coût politique, lourdement payé par le SPD et par une montée de la contestation. Ces réformes suscitent davantage d’enthousiasme en France que chez les retraités, les salariés et leurs organisations syndicales, en Allemagne. Derrière cette baisse du chômage, se révèle une hausse impressionnante des inégalités sociales. En 2015, outre-Rhin, 8,9 % des salariés étaient pauvres, contre 5,9 % en France. Un travailleur allemand sur cinq occupait un emploi précaire en 2016 (Source : statistiques officielles). Parmi eux, on retrouve des emplois à temps partiel de moins de 20 heures par semaine, des intérimaires, des mini-jobs rémunérés 450 euros par mois. Les CDD représentent 45 % des embauches de 2016, soit une hausse de 3 % en un an. Ils touchent majoritairement les moins de 20 ans (7,7 millions à occuper un emploi atypique). Ces réformes ont aussi consisté à raccourcir le temps des allocations chômage à un an au lieu de deux. Les syndicats ont dénoncé un affaiblissement de la couverture des salariés par les conventions de branche. Ainsi, l’année dernière, seuls 56 % des employés étaient couverts, contre 98 % en France.
Le Jobs Act de Matteo Renzi
L’autre cas qui mérite attention est celui du « Jobs Act » en Italie mis en place en 2014. Ce programme du Premier ministre italien Matteo Renzi, tant vanté dans les sphères dirigeantes de l’hexagone – particulièrement sous le gouvernement de Manuel Valls qui dès son apparition l’a fait traduire et étudier par ses collaborateurs –, est depuis très controversé. Une des mesures les plus significatives a été la création d’un « contrat à protection croissante », un CDI plus flexible dans les premiers mois, sur une période, durant laquelle le salarié ne bénéficie pas des protections contre le licenciement qui existaient pour les CDI classiques. Renzi a passé au forceps la mise en cause de l’article 18 du code du travail qui garantissait des conditions de licenciements favorables aux salariés (suppression que Berlusconi n’avait pas réussi à faire passer). La loi travail de Macron est proche de celle de Renzi en matière de licenciement abusif sans « giusta causa » (juste cause) : lorsque le juge ne peut obliger l’entreprise à réintégrer le travailleur (comme il était prévu par l’article 18), il peut se limiter à fixer une indemnité correspondant à deux mensualités pour chaque année de travail, en tout cas.
Dès son élaboration, le Jobs Act a fait l’objet de contestations par des économistes, sur ses conséquences sur le chômage, et par les organisations syndicales. Pour Susanne Camusso, la secrétaire générale de la CGIL – la plus importante centrale syndicale – la réforme « ne réduit pas la précarité, mais bien les droits et les protections » des salariés, tout en « encourageant les licenciements ». Le 25 octobre 2014, 1 million de personnes manifestaient à Rome. Le 12 décembre, après le vote du Sénat, une grève générale a paralysé le pays pendant huit heures. 50 000 personnes ont défilé à Milan, 70 000 à Turin, 40 000 à Rome, 50 000 à Naples. Au total, dans une cinquantaine de villes, derrière les mots d’ordre « Renzinocchio » (amalgame entre Renzi et Pinocchio) et le mot d’ordre : « Non va cosi » (“Comme ça, ça ne va pas”).
Au summum de sa popularité, Renzi était le bon élève de la classe européenne. Sa chute brutale dans les sondages et son échec aux élections ont refroidi l’enthousiasme de ceux qui faisaient du Jobs Act une des références majeures de leur plaidoyer pour les réformes libérales de flexibilisation et de précarisation du marché du travail.
Pour aller plus loin:
- «Flexisécurité, Loi Hartz, Jobs Act : l’Europe à la recherche d’un modèle », France Culture, émission Cultures Mondes animée par Florian Delorme (2017, 58 min).
- Andréa Fumagalli, « “Jobs Act”, le grand bluff de Matteo Renzi », Le Monde diplomatique, juill. 2016.
- Romaric Godin, « Le Jobs Act italien, une réforme peu convaincante », Mediapart, 2 sept. 2017.
- Christian Odendahl, « The Hartz myth: Drawing lessons from Germany », Center for European Reform, 20 juillet 2017.