Depuis la conférence de Rio sur l’environnement et le développement et l’adoption de la Convention sur la diversité biologique en 1992, l’humanité affirme régulièrement l’impérieuse nécessité de préserver les écosystèmes grâce à une coopération entre États, une action globale, collective et universelle. Malgré de nombreux obstacles à l’application des règles, mais face à l’accélération de la sixième extinction de masse, le droit international y joue un rôle accru. Pour Pascale Ricard, à travers l’expansion lente mais prometteuse du contentieux international environnemental, les recours engagés contre les entreprises et les États et les divers processus sous l’égide de l’ONU, de nouvelles normes adaptées aux défis actuels se construisent progressivement.
La biodiversité, définie comme la « variabilité des organismes vivants de toute origine »[1], mais aussi plus généralement la nature, l’environnement, ou l’ensemble des ressources naturelles, n’ont pas de statut juridique spécifique en droit international public. La biodiversité peut néanmoins être considérée, a minima, comme un « bien commun », du fait de son caractère global et des différents services écosystémiques qu’elle fournit : par exemple, en plus d’être à l’origine de la vie et de permettre son maintien, notamment par sa dimension alimentaire, elle permet l’absorption d’une grande quantité de CO2 émis dans l’atmosphère et est à l’origine de toute une série d’inventions pharmaceutiques, médicales ou cosmétiques. Sans compter sa valeur d’« option », pour les générations futures, ou encore sa simple valeur esthétique[2]. Les économistes parlent d’un « bien public mondial »[3]. Le Programme des Nations unies pour le développement distingue en effet trois grandes catégories de tels « biens » : les biens publics mondiaux naturels, tels que la stabilité climatique ou la biodiversité, les biens publics mondiaux d’origine humaine, comme les connaissances scientifiques et, enfin, les résultats politiques globaux tels que la paix, la stabilité financière, ou encore la lutte contre les pandémies[4]. La notion permet ainsi de mettre en évidence les enjeux internationaux auxquels les États sont confrontés, qui ne peuvent être appréhendés que par le biais d’une coordination et d’une coopération entre eux afin d’assurer la « production », ou plutôt ici la protection de ces biens. Elle a donc le mérite de souligner l’interdépendance des États face à certaines problématiques.
La Convention sur la diversité biologique, adoptée en 1992, a quant à elle qualifié la conservation de la biodiversité de « préoccupation commune de l’humanité », son érosion progressive constituant en effet un véritable problème planétaire. Seule l’évolution du climat a également bénéficié d’une telle qualification, reprise dans l’Accord de Paris de 2015. Ces différentes expressions – préoccupation commune, bien public mondial, bien commun, etc. – permettent de mettre en avant non seulement le caractère vital de la biodiversité, mais aussi la dimension nécessairement globale et collective de cette protection : la conservation de la biodiversité, pour être effective, nécessite une action réellement universelle et renforcée.
La construction progressive d’une action concertée et universelle
Cette concertation universelle est assurée par différentes institutions internationales, au premier rang desquelles figure l’Organisation des Nations unies, fondée à la suite de la Seconde Guerre mondiale. L’organisation mondiale, au travers, notamment, de diverses institutions spécialisées, constitue le forum privilégié pour mettre en place une véritable coordination entre États souverains. C’est le Programme des Nations Unies pour l’environnement qui a permis dès les années 1970 une montée en puissance de la mobilisation internationale en matière environnementale. La Déclaration de Stockholm sur l’environnement pose en effet dès 1972 les principes fondamentaux, structurants et toujours actuels du droit international de l’environnement : le principe de l’utilisation non dommageable du territoire et plus généralement de prévention, le principe de coopération, de préservation de l’environnement pour les générations présentes ou à venir, ou encore le droit à un environnement sain. Ces éléments demeurent de véritables fondations pour le droit international de l’environnement.
Ce n’est qu’en 1992 qu’un véritable changement de paradigme intervient : la Conférence de Rio sur l’environnement et le développement consacre d’abord la notion de « développement durable », ayant pour mission de concilier les préoccupations sociales, économiques et environnementales et réaffirme les principes fondamentaux de prévention, de précaution ou encore de coopération pour la protection de l’environnement. Elle propose aussi, et surtout, une nouvelle approche de la conservation. À l’approche classique fondée sur la protection des espèces ou des ressources menacées prises individuellement et sur la lutte contre les pollutions, fragmentée en fonction des différents espaces concernés (territoires étatiques sur terre, différents espaces maritimes en mer), elle ajoute une approche fondée sur la préservation des écosystèmes dans leur ensemble. Cette approche permet de prendre en compte le fait que la biodiversité ne connaît pas les frontières politiques et que seule une protection proactive, et non passive, pourrait permettre d’en améliorer la santé. C’est l’adoption de la Convention sur la diversité biologique, en 1992, qui entérine ce changement de prisme et permet d’appréhender la biodiversité comme un tout, interdépendant et indivisible. Les aires protégées sont désormais l’un des outils privilégiés du droit international de l’environnement et l’augmentation de leur couverture géographique est érigée en un objectif quantitatif et chiffré pour les États, ce qui n’est pas sans risque en termes qualitatifs mais possède une importante dimension incitative[5].
Ce changement de paradigme a profondément modifié l’architecture globale des institutions internationales et la nature juridique des obligations environnementales pesant sur les États. Il a entraîné la création d’une profusion d’organisations internationales et régionales compétentes en matière de protection et de préservation de la biodiversité dans différentes régions maritimes (Méditerranée, Antarctique…), pour différents types d’écosystèmes terrestres (zones humides, patrimoine mondial, …), certaines espèces (thonidés, espèces migratrices…) ou encore dans le cadre de différents secteurs d’activités (pêche, protection milieu marin, exploitation minière, commerce, etc.). Bien que d’autres sujets ou acteurs interviennent désormais largement soit dans la protection soit dans les atteintes à la biodiversité, au premier rang desquels, outre les organisations internationales, la société civile et les entreprises privées, le droit international demeure en pratique toujours très centré sur l’État souverain qui reste le principal destinataire des normes[6]. Seule une collaboration multisectorielle et multi-échelle entre États, mais aussi entre et avec ces autres sujets et acteurs très influents en droit international peut ainsi permettre d’appréhender efficacement la question de la conservation de la biodiversité.
Le défi de la mise en œuvre des règles existantes et de la protection du droit des individus à un environnement sain
Bien que le multilatéralisme soit en crise, le véritable défi du droit international réside a priori moins dans la coopération que dans la mise en œuvre concrète des règles relatives à la protection de la biodiversité. Le droit international de l’environnement est en effet souvent critiqué pour son manque d’efficacité et de sanctions. Le manquement à leurs obligations internationales par les États résulte souvent en une omission ou une insuffisance d’action difficile à identifier, et les causes d’un dommage environnemental le sont tout autant. À cela s’ajoute une volonté politique souvent défaillante, et la réticence des États à engager des actions les uns contre les autres, aucun n’étant parfaitement irréprochable dans la mise en œuvre des normes environnementales. Néanmoins, le contentieux international environnemental est à l’heure actuelle en pleine expansion. Le juge international est en effet de plus en plus amené à se saisir de questions liées à la mise en œuvre de normes relatives à la préservation de l’environnement et à sanctionner les États n’ayant pas agi avec la diligence requise en la matière : parmi d’autres, on peut citer le différend entre la Chine et les Philippines en mer de Chine méridionale[7], l’affaire de la chasse à la baleine en Antarctique entre l’Australie et le Japon[8], l’avis consultatif portant pêche illicite, non déclarée et non réglementée en Afrique de l’Ouest et celui relatif aux activités de prospection et d’exploration des ressources minérales dans la zone internationale des fonds marins[9], l’affaire de l’aire marine protégée autour des îles Chagos[10] ou encore le différend entre le Costa Rica et le Nicaragua concernant certaines activités menées dans la région transfrontalière, qui a conduit la Cour internationale de Justice à condamner pour la première fois un État à indemniser un préjudice écologique pur[11].
Certes, ces évolutions institutionnelles ou jurisprudentielles ne sont pas rapides ni toujours adaptées à l’ampleur des enjeux écologiques. Des avancées très prometteuses proviennent aussi, dans un tel contexte, de la société civile et des recours engagés à l’échelle nationale, dans différents États, à l’encontre des entreprises ou des États en vue de sanctionner la non mise en œuvre de leurs obligations en matière climatique[12] ou encore de pollution par les déchets plastiques[13], et de défendre ainsi leur droit à un environnement sain. L’approche par les droits de l’homme constitue en effet un vecteur privilégié, bien qu’encore insuffisamment exploité, pour exiger des États le respect de leurs obligations, comme l’ont récemment rappelé la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour interaméricaine des droits de l’homme, ou encore le Conseil des droits de l’homme des Nations unies[14].
Le développement de normes adaptées aux nouveaux besoins et nouvelles menaces
Par ailleurs, face à la sixième extinction de masse de la biodiversité marine et terrestre annoncée et crainte par les scientifiques[15], la communauté internationale réagit et engage divers processus afin de renforcer l’arsenal juridique existant jugé insuffisant. Deux sujets sont par exemple en cours de discussion au sein de différentes instances internationales, témoignant d’avancées intéressantes en la matière. Tout d’abord, la négociation actuelle menée au sein de l’ONU sur l’adoption d’un nouvel accord international relatif à la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité située au-delà des limites de la juridiction nationale, c’est-à-dire dans les zones maritimes internationales. Ce futur accord, qui pourrait être adopté dès l’année prochaine, vise notamment à faciliter la création d’aires marines protégées dans les espaces internationaux, préciser les modalités de l’obligation de réaliser des études d’impact environnemental dans le cadre de la conduite d’activités en mer potentiellement néfastes à la conservation de la biodiversité, ainsi que de définir le régime juridique applicable aux ressources génétiques marines, qui sont notamment à l’origine d’importantes avancées médicales et pharmaceutiques et obéissent à l’heure actuelle dans les eaux internationales à la règle du « premier arrivé, premier servi »[16]. Cet accord viendrait non seulement compléter la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982, véritable « constitution pour les océans », mais aussi en renforcer la mise en œuvre, puisque certaines de ses dispositions très générales – comme l’article 192 relatif à l’obligation destinée à tous les États de « protéger et préserver le milieu marin » – manquent de précision quant aux modalités concrètes de leur application et souffrent donc d’une mise en œuvre très insuffisante par les États.
Un autre processus en cours particulièrement intéressant concerne la lutte contre la pollution des océans par les déchets de matières plastiques. Les États discutent, au sein de l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement mise en place par le PNUE, des raisons pour lesquelles les instruments existants consacrés à la lutte contre la pollution tellurique, y compris plastique, ne se révèlent pas efficaces, et des diverses options qui pourraient favoriser une meilleure prise en charge de ce problème planétaire. Parmi les options sur la table, on trouve l’adoption d’un nouveau traité international ou la création d’une plateforme scientifique, sorte de « GIEC » du plastique ou des produits chimiques[17]. Tout comme l’érosion de la biodiversité, la pollution plastique est en effet un phénomène holistique qui nécessite une approche réellement globale et concerne toute une série de secteurs d’activité : l’approche en termes de cycle de vie de produits et déchets apparaît comme absolument nécessaire, avec une prise en compte de chaque étape de ce cycle (production de produits plastiques, gestion et traitement des déchets sur terre, contamination par des produits chimiques, pollution des fleuves, commerce international, surveillance de l’interface terre-mer, nettoyage, protection des zones et espèces protégées, etc.).
D’autres processus mondiaux pourraient s’avérer prometteurs à court terme, dont la quinzième Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique reprogrammée au mois de mai 2021, qui prévoit l’adoption d’un « cadre mondial sur la biodiversité pour l’après-2020 »[18] permettant aux États et autres acteurs internationaux, dont les entreprises privées, de renforcer leurs engagements en matière de protection.
Certes, l’ensemble de ces forums aura été affecté par la crise mondiale du coronavirus. L’on ne peut qu’espérer que cette crise ne cause qu’un retard dans le calendrier des échéances à venir, et non pas un renoncement, l’écologie s’avérant en pratique particulièrement affectée par cette crise alors qu’elle constitue probablement la clé pour éviter la multiplication de pandémies dans le futur.