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La retraite, un nouveau départ

La retraite, un nouveau départTemps de lecture : 8 minutes

Expérience de passage, la retraite est une étape de notre développement à la fois déstabilisante, mais aussi épanouissante et attrayante, car elle permet de libérer du temps pour partager, échanger ou profiter des plaisirs de la vie. Revenant sur cette dimension existentielle de la retraite, Catherine Bergeret-Amselek insiste aussi sur le rôle pivot des baby-boomers qui constituent bien souvent la clé de voûte de l’équilibre familial tout en étant les acteurs de la transmission générationnelle ; autant de rappels bienvenus pour faire tomber les tabous et les idées reçues sur la vieillesse.

Les enjeux de la retraite concernent la société tout entière, car outre la question économique du paiement des retraites, ces retraités fraichement propulsés dans ce nouveau statut social ne représentent-ils pas une force vive ayant le pouvoir d’apporter un nouvel élan à une société anti-âge en étant la cheville ouvrière d’un vivre ensemble jeune et vieux ? Ayant grandi dans la culture du livre et ayant, pour beaucoup d’entre eux, pris le virage du numérique comme le met en évidence Jean-Pierre Aquino, ne sont-ils pas les mieux placés pour inventer de nouvelles formes d’altérité dans une société de tous les âges et pour vaincre la crise éthique et civilisationnelle que nous traversons ? En quoi sont-ils bien placés pour cela ?

La retraite, une crise existentielle 

En tant que psychanalyste qui reçoit des adultes jeunes et vieux, je mettrai tout d’abord l’accent sur la dimension existentielle de la retraite en tant qu’expérience de passage, étape-clé inaugurant la sénescence. C’est une étape de notre développement au même titre que l’adolescence, la parentalité naissante et la maturescence (milieu de la vie) et à ce titre nous pouvons l’orthographier : « c’est naissance ». Toutefois c’est aussi une étape de vie très déstabilisante susceptible de voir se déclencher une crise d’identité, crise maturative certes, à condition de bénéficier d’un environnement bien-traitant. En effet, même si on n’est pas tous vieux au même âge et si vieillir n’est pas une maladie, à partir de 60-65 ans un certain nombre d’événements viennent rompre notre sentiment continu d’exister, parmi lesquels le départ à la retraite, le départ des enfants de la maison (qui reviennent ensuite), le divorce (de plus en plus tardif), celui d’un enfant, l’accompagnement de nos parents dans la vieillesse et dans la mort, la prise en charge d’un proche, les deuils, les problèmes de santé, l’hospitalisation (intervention chirurgicale), l’entrée en institution d’un proche, le rétrécissement de notre train de vie, le veuvage, qui après la perte d’un enfant est l’un des événements les plus éprouvants de la vie. Tous ces événements font rupture avec la vie d’avant.

La retraite nous rappelle qu’on est en train de vieillir, c’est la fin de tout un temps, celui de la vie active et cela nous fait nous poser des questions sur notre place dans la société nous remettant en question dans notre légitimité d’être. À la cinquantaine, nous avions été confrontés à un grand changement de rapport au corps et au temps, c’était la période de la ménopause pour les femmes. Aujourd’hui, elle est intégrée et ce sont les hommes qui sont aux prises avec leur andropause qui n’est pas sans conséquence sur la qualité de leurs érections. Au moment de la retraite, notre corps se transforme et on s’inscrit autrement dans un temps qui passe de plus en plus vite, un temps désorganisé, car l’agenda est vide et on se précipite à le remplir sous l’effet d’un activisme de type élan maniaque ne ferait qu’éluder la question qui travaille, la question du manque à être. Outre les renoncements, les castrations et les deuils des proches parfois nous sommes confrontés à un deuil partiel de nous qui ravive tous les deuils anciens, y compris ceux qui n’ont pas été vécus en leur temps. Quitter ses collègues, un trajet, ne plus avoir à se faire beau pour aller travailler, c’est en effet un véritable deuil. La retraite impose un travail de désidentification à son image professionnelle et cette perte de statut social donne aussi l’occasion de se rassembler sur l’essentiel et de ne pas s’y croire. En ce sens, la prise du virage de la sortie de la vie professionnelle est l’occasion d’un retour sur soi et d’un dégagement des emprises et des faux semblants, l’introspection en cours permet d’effectuer un travail de règlement de compte avec les conflits psychiques anciens et de se recentrer. Cela implique un intense travail d’intégration qui nous met à l’épreuve dans notre capacité à contenir de l’intensité, cela entraine une dilatation du moi qui fait vaciller l’identité. Bien sûr selon notre histoire passée et le contexte de notre vie présente la retraite sera plus ou moins bien vécue.

Pour toutes les personnes qui n’existaient qu’à travers leur identité professionnelle, la sortie du monde du travail sera d’autant plus douloureuse et périlleuse. Au contraire, pour tous ceux qui ont cultivé une vie intérieure tout en étant capable d’aller vers les autres n’ayant pas peur d’être seul avec eux-mêmes, le passage à la retraite peut être l’occasion de se réaliser et de prendre la vie autrement, ce sera alors une seconde vie qui peut être fort épanouissante, encore faut-il qu’ils aient les moyens financiers de s’offrir des petits plaisirs ce qui n’est pas la cas de tous les retraités. Toutes les personnes qui ont réussi ce passage en sortent grandies.

Une génération pivot

D’un autre côté, c’est au moment où certains sexagénaires aimeraient se poser et profiter de la vie que la charge de parents à « placer » ou à aider à vieillir à leur domicile pèse très lourd, cela réveille d’ailleurs souvent de douloureux conflits dans les fratries, sans compter que l’avenir pour leurs enfants est assombri par la fréquence du chômage pour les jeunes. Par conséquent, la retraite est une retraite très active pour les retraités qui sont, dans ce cas, parfois aussi épuisés voire plus que ceux qu’ils aident. Pour ceux qui ont été parents tard, il s’agit de soutenir leurs enfants à se lancer dans la vie adulte. Aider ses parents, voire son conjoint, voire les trois en même temps et avoir à s’occuper de ses petits-enfants est une mission très lourde à l’intérieur de la famille.

Clé de voûte de l’équilibre familial, mais aussi acteur de la transmission intergénérationnelle, cette position au carrefour de cinq générations leur a valu le nom de génération-pivot, une génération qui n’a pas envie de vieillir comme ses parents. Dans un tel contexte, trouver du temps pour soi relève de l’exploit. J’ai constaté que ce sont surtout des femmes qui occupent cette place d’aidant, les femmes étant le plus souvent les chevilles ouvrières de la dynamique familiale. Outre cette fonction centrale d’être garante d’une cohésion familiale, ces sexagénaires fort impliquées dans des missions humaines sont aussi garantes d’une cohésion sociale. Par exemple, les grands-parents font autant d’heures de babysitting avec leurs petits enfants que les auxiliaires de puériculture et font ainsi faire des économies à leurs enfants.

Par ailleurs, ces sexagénaires ont fait eux-mêmes le chemin de s’initier aux nouvelles technologies. Aussi sont-ils tout aussi capables de se laisser éduquer par leurs enfants et petits-enfants que d’initier les plus âgés. Pour ces anciens ils ont conscience des enjeux de se relier au monde moderne afin de pouvoir dire : « Mon temps c’est maintenant », et non pas : « De mon temps c’était ». Pour une vieille personne, skyper avec l’un de ses petits-enfants, envoyer et recevoir photos et SMS, aller sur internet, envoyer un mail, réserver en ligne, c’est une des manières d’éviter le repli sur soi, à condition que cette communication à distance soit complétée par une présence de proches ou d’amis. Car aucune machine ne pourra se substituer à la présence charnelle, aucun robot de compagnie, mais ceci est un autre débat. Les nouveaux retraités sont nombreux à s’investir dans des associations qui proposent des actions intergénérationnelles autour du numérique comme l’utilisation des tablettes pour améliorer certains troubles cognitifs ou pour exercer sa mémoire à titre préventif[1].

Si la révolution des soins en périnatalité s’est faite grâce aux usagers, les parents eux-mêmes, le changement de regard sur les vieux se fera par les usagers c’est-à-dire les vieux eux-mêmes parmi lesquels cette génération locomotive de sexagénaires, capable d’ouvrir des chemins pour avancer en âge autrement, en faisant tomber les tabous et les idées reçues sur la vieillesse.

Une éthique de la solidarité intergénérationnelle

Il me semble même que ces baby-boomers ont une mission à accomplir, surtout parmi ceux qui exercent le pouvoir dans notre pays, car ce sont bien ces boomers qui nous gouvernent ! Ils doivent mettre en œuvre un certain nombre d’actions pour éviter une guerre des générations, dénoncée par l’économiste François Lenglet et par le sociologue Louis Chauvel[2]. Ces deux auteurs constatent que les gros postes dans bien des domaines sont entre les mains des baby-boomers, détenteurs d’un patrimoine confortable, se distribuant les places de choix au détriment des jeunes qui se retrouvent paupérisés et au chômage, bien que surdiplômés. Je trouve cette analyse assez réaliste, même si tous les baby-boomers ne sont pas des privilégiés, beaucoup étant obligés de rétrécir leur train de vie, car leur retraite est inférieure à ce qu’ils gagnaient avant. Finalement la vraie révolution de l’âge, celle qui pourrait vaincre la crise économique et éthique de notre société individualiste, n’est-ce pas que les décideurs considèrent comme un devoir de faire le lien entre les générations et tendent la main aux jeunes, en leur faisant confiance et en leur donnant leur chance. Beaucoup le font déjà, par exemple, il existe des actions intergénérationnelles initiées par des ex-chefs d’entreprise pour aider les jeunes entrepreneurs. Il me semble que l’application d’une éthique de la sollicitude selon l’expression reprise par Serge Guérin serait nécessaire pour lutter contre cette lutte des générations et ce racisme anti-âge qui sévit dans les deux sens. En ce sens, l’intergénérationnel est peut-être le nerf de la guerre pour vaincre ce fossé des générations.

Retrait ou attrait : la relance du désir

Enfin, face à la crise du sens que nous affrontons, l’allongement de l’espérance de vie, allié à un taux de natalité élevé (en France, il est parmi les plus forts d’Europe), est capable de relancer une dynamique globale de Désir et de mobiliser notre pulsion de vie. Dans notre société individualiste, l’isolement à tous les âges est un fléau. Elle fait des ravages quand on a quitté le monde du travail, avec les années il devient plus difficile de se faire un réseau solide d’amis. L’isolement tue les vieux qui sombrent dans le repli, la dépression et la mort. Les rencontres intergénérationnelles demandent à être organisées pour qu’elles fonctionnent et elles nous donnent l’occasion d’inventer des nouvelles formes d’altérité. Beaucoup de retraités s’engagent dans la vie associative (12 % de bénévoles retraités en plus ces trois dernières années), d’autres reprennent des études, se lancent dans des projets créatifs ce qui leur permet d’avoir un rôle actif dans la société. Notons aussi qu’il y a beaucoup d’entrepreneurs de 60-65 ans qui se reconvertissent dans une deuxième carrière.

Mais pour bien mener cette révolution de l’âge, anticiper sa retraite avant son arrivée peut-être une manière de regarder autrement le sens de la vie, de passer du savoir-faire au savoir-être. En ce sens la retraite peut-être attrayante, car elle permet de libérer du temps pour partager, échanger, continuer de grandir, pour le simple plaisir de vivre tout simplement. Rappelons-nous cette belle maxime du philosophe Henri Bergson : «  Vivre c’est vieillir… Exister consiste à changer, changer à mûrir, mûrir à se créer indéfiniment soi-même ».

[1] Pour avoir un aperçu des nombreux exemples de ces actions intergénérationnelles mobilisant plusieurs générations parmi lesquelles des retraités désirant transmettre leur savoir-faire, voir Catherine Bergeret-Amselek, Vivre ensemble jeunes et vieux, un défi à relever, éditions Erès, 2015.

[2] François Lenglet, Tant pis nos enfants paieront, éditions Albin Michel, 2016 et Louis Chauvel, La spirale du déclassement, éditions du Seuil, 2016.

Pour citer cet article

Catherine Bergeret-Amselek, « La retraite, un nouveau départ », Silomag, n° 9, juin 2019. URL : https://silogora.org/la-retraite-un-nouveau-depart/

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