Cet article – qui sera également publié dans le prochain numéro de Progressistes – présente les grandes lignes du travail d’un groupe de réflexion dont l’objectif est d’intégrer la dimension du commun comme principe politique de la transition post-capitaliste. Nouvelle économie de la valeur, nouveaux droits à expérimenter sur les territoires, nouveaux outils de gestion et d’intervention des salariés comme des populations sont autant de leviers d’action visant à changer la donne locale de la mondialisation.
Le commun comme principe politique ordonnant de nouvelles institutions de la société afin de construire et gérer collectivement l’accès pour tous aux ressources fondamentales à la vie bonne (l’alimentation, la santé, l’énergie, la culture, la mobilité, l’emploi, etc.) en assurant leur durabilité, nous apparaît comme la révolution du XXIe siècle (Dardot et Laval, Commun – la révolution au XXIe siècle, édition La Découverte, 2014). À partir de l’idée que les territoires ont un rôle essentiel à jouer dans la mise en place de ce principe politique pour aller vers une transition post-capitaliste, ce que déjà mille expériences illustrent comme certaines des réalités de l’économie sociale et solidaire le montrent, un groupe de réflexions pour l’action s’est constitué, que nous avons coordonné avec Sylvie Mayer et Denis Durand, et qui s’est réuni régulièrement au cours du premier semestre 2017, place du Colonel Fabien.
Son point de départ décline plusieurs idées liées entre elles qui construisent les territoires comme un sujet politique de la transition post-capitaliste.
Une nouvelle économie politique de la valeur
Cette révolution des territoires passe, en effet, par une nouvelle vision politique portée notamment par les acteurs de l’économie sociale et solidaire et par les forces syndicales au travers de leurs initiatives et de leurs luttes sur les territoires. Face aux dégâts de la mondialisation néolibérale, la nouvelle vision politique des territoires a d’abord pour enjeu de construire une nouvelle équation de la valeur. Ce sont les circuits économiques à même de relier, selon une géographie variable selon les contextes socio-économiques, la production et la consommation qui sont à imaginer et à instituer afin de produire la valeur ajoutée pour le territoire dont la répartition suppose de déterminer collectivement le juste prix. Les monnaies locales, les pôles territoriaux de coopération économique, les groupements de coopération sociaux et médico-sociaux sont autant d’exemples qui ouvrent cette voie. Afin de devenir le nouveau cadre de l’économie, de nouvelles institutions du droit sont nécessaires.
De nouveaux droits à expérimenter sur les territoires
Plutôt que de s’ajuster aux contraintes de la mondialisation comme l’a proposé la loi Travail, de nouveaux droits sont à instituer pour orienter l’économie dans le sens d’une création de valeur pour et sur les territoires. La proposition de loi déposée en janvier 2017 par André Chassaigne et les députés du Front de gauche ouvre des pistes qui demandent à être explorées. Un nouveau droit d’usage des établissements pour les salariés en cas de cessation, nécessitant sans doute la reconnaissance d’un droit d’occupation afin de conserver les actifs dans l’entreprise, fait également partie de la discussion. De même, la nouvelle donne des territoires zéro chômeur de longue durée, dont l’une des dix expérimentations retenues aura lieu à Thiers (63), est à suivre. Toutes ces institutions sont celles d’une gouvernance territoriale dont les instances doivent réunir représentants territoriaux des employeurs, des salariés, des banques, de la société civile afin de prendre les décisions favorables à la création de valeur pour le territoire. La présence des banques dans cette gouvernance est suffisante pour montrer que ce localisme n’est pas un protectionnisme, mais un universalisme par la mondialisation des territoires. L’une des matières à discussion concerne justement les points de passage du territoire au national et du national à l’Europe et au mondial.
De nouveaux outils de gestion
Enfin, on le sait, la révolution néolibérale, enclenchée intellectuellement dès les années 1960, est principalement passée par le développement des outils de gestion à même de calculer la valeur pour l’actionnaire, de la légitimer et d’en conduire les stratégies néfastes. De nouveaux outils de gestion sont donc également à construire afin de conduire les stratégies des acteurs sur les territoires afin d’être au rendez-vous de la nouvelle valeur pour le territoire. Contre la représentation de la firme selon la grille de la valeur pour l’actionnaire, des outils de gestion sont dès maintenant disponibles pour penser autrement l’entreprise en termes de valeur ajoutée et développer sur cette base une alternative concrète aux critères de gestion fondés sur la rentabilité du capital. Il est à ce niveau important de pouvoir associer ces nouveaux outils de gestion avec des circuits économiques à même de mesurer la valeur ajoutée pour le territoire et l’environnement.
Des spécialistes de l’économie, du droit et de la gestion ont partagé avec des acteurs et des militants leurs réflexions afin de développer et d’étayer cette base de départ. Comme il s’agissait de construire une pensée pour l’action, ce travail a débouché sur l’élaboration d’un projet de loi d’expérimentation appelée « Entreprises de territoires et nouvelle régulation démocratique »
Changer la donne locale de la mondialisation
Ce pré-projet veut alimenter les débats pour ouvrir un autre avenir sur les territoires que celui qui s’y impose depuis trente ans sous le diktat des marchés financiers et de leurs nombreux affiliés, y faisant disparaître des milliers d’emplois. Il n’est pas finalisé, car il est ouvert aux contributions qui conduiront à l’étoffer et à le valider collectivement.
Il s’oppose diamétralement à la philosophie de la « simplification drastique du droit du travail » du nouveau président Emmanuel Macron qu’il a déjà défendue comme ministre de l’Économie dans un gouvernement de la présidence Hollande. Cette philosophie néolibérale pose que la mondialisation financière est la pierre d’angle de notre avenir, son horizon incontournable. Et ambitionne de faire de la France une gagnante de cette compétition. Nous ne partageons pas cette vision. Nous lui opposons une tout autre vision de la mondialisation qui promeut une mondialisation démocratique des territoires, de mieux-disant social et visant à développer des biens communs. Elle permet de poser dans d‘autres termes la question de la sécurisation des activités et des emplois. En voici les principaux principes.
Entreprises de territoire
Pour toute entreprise abandonnée ou menacée qui en fait la demande, notamment par son collectif de salariés, le statut d’entreprise de territoire est accordé pour une durée maximale de trois ans au terme de laquelle l’entreprise sera soit dissoute soit continuée avec le statut définitif d’entreprise de territoire. Au cours de cette période de trois ans, l’entreprise de territoire bénéficie d’un soutien juridique et technique d’une commission pour la responsabilité territoriale. Elle peut bénéficier d’un soutien financier de la collectivité territoriale, à travers l’intervention d’un fonds territorial pour l’emploi et la formation.
Le statut d’entreprise de territoire a pour condition l’adoption, par l’entreprise, d’objectifs répondant aux nécessités du développement du territoire et des capacités de ses habitants, et d’une gestion donnant la priorité à des critères économiques (création de valeur ajoutée sur le territoire), sociaux (emploi, formation) et écologiques (préservation des ressources naturelles). Cette gestion s’appuie sur des financements faisant appel à la responsabilité sociale du système bancaire et à la mobilisation des acteurs locaux.
Commission pour la responsabilité sociale de territoire
Dans le cadre de la loi d’expérimentation, toute collectivité territoriale peut décider la création d’une commission pour la responsabilité sociale territoriale. Les attributions de cette commission consistent :
- à instruire les demandes de reconnaissance du statut d’entreprise territoriale qui lui sont présentées ;
- à exercer une médiation dans le cas où elle est saisie par les représentants des salariés d’une entreprise menacée (comité d’entreprise, comité d’établissement ou délégués du personnel dans les entreprises de moins de 50 salariés) porteurs d’un projet alternatif à la stratégie de la direction ;
- à saisir, le cas échéant, l’administration et la Banque de France en vue de donner aux entreprises de territoires les moyens juridiques et financiers de réaliser leurs projets.
Un Fonds territorial pour l’emploi et la formation
Une entreprise de territoire peut bénéficier du soutien de la collectivité territoriale où elle est implantée pour financer les investissements matériels et immatériels nécessaires à la réalisation de son projet de développement. Les dépenses de fonctionnement, en particulier les salaires versés pendant la période de trois ans qui suit la reconnaissance du statut d’entreprise de territoire, font partie des investissements pris en compte dans le plan de financement de l’entreprise.
Les moyens consacrés par la collectivité territoriale au soutien financier du projet de l’entreprise sont réunis dans un fonds territorial pour l’emploi et la formation mis en place par la collectivité territoriale. Le fonds est géré par la commission pour la responsabilité sociale territoriale.
Le fonds territorial est doté de ressources apportées par le budget de la collectivité territoriale. Ces ressources peuvent être abondées par l’État ou la région.
Les interventions du fonds peuvent prendre la forme de subventions ou de dotations en fonds propres. Cependant, l’ampleur limitée des ressources budgétaires dont disposent les collectivités territoriales conduit à privilégier les instruments destinés à favoriser le financement des investissements des entreprises par des crédits bancaires : bonifications d’intérêts, garanties d’emprunts, ou une combinaison de ces deux instruments. Pour le même objet, le fonds noue des partenariats avec BPI-France, avec les réseaux bancaires mutualistes implantés sur le territoire avec la Banque Postale, et, si elles acceptent les critères de gestion et de financement adoptés par l’entreprise de territoire, avec les autres banques commerciales implantées sur le territoire.
Aujourd’hui, les salariés de la SEITA à Riom dans le Puy-de-Dôme, s’ils pouvaient s’appuyer sur cette loi d’expérimentation, auraient une toute autre perspective que celle que leur impose le groupe Imperial Brand et ses actionnaires, qui est celle de la destruction des machines et de la délocalisation en Pologne afin de maximiser toujours plus la valeur pour l’actionnaire au mépris du travail. Il est temps que les territoires ne soient plus laissés aux seigneurs du capital afin qu’y souffle le vent d’une vie bonne pour tous.