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Le présidentialisme et après

Le présidentialisme et aprèsTemps de lecture : 9 minutes

Président de la République… La stature du métier laisse songeur. Combien d’enfants rêvent aujourd’hui encore de le devenir ? Ce désir a une histoire qu’Alain Garrigou s’attache à délier dans cet article. Il y analyse le développement de l’institution présidentielle pendant la cinquième République, de sa genèse politique à son club de retraités. Elle n’a eu de cesse de renforcer sa position, au détriment du parlement. La rencontre des ambitions que le Président suscite et entretient, en surplomb, par son pouvoir de décision, d’arbitrage et de nomination, contribue à son charisme fonctionnel.

Les mots convergent : présidentialisation, présidentialisme voire hyperprésidentialisme ou encore omniprésidence, on ne sait lequel choisir pour marquer la prééminence politique du Président de la République sous la Cinquième République. On pourrait saluer cette unanimité, peu habituelle, si elle n’était devenue si banale et finalement si totale qu’on manque de mots. Après l’hyperprésidentialisme évoqué il y a quelques décennies, on a encore parlé de présidentialisation et donc d’un mouvement dont il est si difficile de dire où il va s’arrêter. On peut donc suspecter un goût de la titraille ou du superlatif. Il arrive un moment où devant le déficit des mots, il faut trouver la place de l’analyse.

 

La genèse politique de la fonction présidentielle

 

En la matière, les pouvoirs d’une institution sont d’abord mesurés à l’aune de la constitution. Travers de spécialistes du droit constitutionnel mais aussi parce que c’est bien selon les règles du droit constitutionnel et de leurs usages que l’on parle de fonction présidentielle. Après tout le général de Gaulle avait bien parlé de « clef de voute des institutions ». Personne ne conteste à celui-ci d’être le « père de la constitution », titre qu’il a revendiqué lui-même en évoquant « la constitution qui est la mienne ». Le processus constitutionnel fut un peu plus complexe et les apports plus divers sans que cela n’entache cette paternité. Si l’on revient sur le moment inaugural de la constitution de 1958, il faut bien rappeler qu’elle est un projet ancien – le général de Gaulle citait le discours de Bayeux – et qu’il s’agit d’un projet non point d’un constitutionnaliste mais d’un militaire révélé à la vie publique par la guerre. Il nourrissait cependant un goût avéré pour la réflexion sur les « bonnes institutions ». Il baignait aussi dans le contexte intellectuel de son temps et de son milieu où un thème récurrent, jusqu’à l’obsession était celle du chef, de sa nécessité et de ses qualités. Si Charles de Gaulle a été entouré de juristes, ce furent des conseillers d’État et non des constitutionnalistes qui laissèrent d’ailleurs poindre leur perplexité devant l’échafaudage de la constitution de 1958. Les circonstances, à commencer par la guerre d’Algérie, donnèrent au Président de la République un pouvoir dont on aurait du mal à dire qu’il était inscrit dans le titre 2 de la constitution. Le recours au référendum sur les questions algériennes comme la débandade des oppositions ne laissait pas la voie libre au Président de la République mais les difficultés politiques, sortes de défaillances, ouvraient aussi des opportunités. Ainsi, le défaut de loyauté de militaires d’état-major amena à concentrer la gestion des affaires algériennes à l’Élysée. Si le prétexte de l’attentat du Petit Clamart permit d’instaurer une élection du Président au suffrage universel, ce fut une aubaine dont on ne peut douter qu’elle correspondait exactement aux vœux du général de Gaulle. La résistance du parlementarisme s’y exprima contre la « forfaiture » avant de décliner inexorablement. Au profit de Présidents en accord avec la définition de la fonction présidentielle et d’autres qui ne l’étaient pas.

 

Rééquilibrage institutionnel et modification des règles du jeu politique

 

« Les institutions n’étaient pas faites à mon intention. Mais elles sont bien faites pour moi. Elles étaient dangereuses avant moi ; elles le seront après moi ». Sans le préciser, François Mitterrand évoquait évidemment d’abord la fonction présidentielle. Pour tenir ce propos du 2 juillet 1981 – c’était bien tôt -, il fallait avoir le toupet de réconcilier sa nouvelle place à son passé d’opposant à la constitution de la Cinquième République. D’un point de vue légaliste, on pourrait dire que le nouveau Président entrait loyalement dans les habits des institutions. D’un point de vue cynique, il appréciait la fonction présidentielle pour peu qu’elle lui échoue. L’usage qu’il en fit ne fut certainement pas abusif au sens où il aurait renforcé encore la fonction présidentielle. À y regarder de près, il arbitra souvent, fit des compromis et tenta d’imposer un équilibre. Sans cela il n’est pas interdit de penser que la fonction présidentielle se serait rapprochée de celle de la Quatrième République. La vision parlementariste s’effaçait au fur et à mesure que les oppositions se ralliaient à la nouvelle règle du jeu que les Français l’approuvaient, on aurait pu trouver une stabilité institutionnelle si les calendriers ne divergeaient pas entre mandat présidentiel et mandat législatif. François Mitterrand s’accommoda d’ailleurs de deux cohabitations, la première étant assez rude et lui imposant une position paradoxale pour défendre la prééminence présidentielle face au Premier ministre et au gouvernement qui se réclamaient du gaullisme.

Ce fut pour résoudre cette configuration perçue comme une incohérence institutionnelle que furent alignées les durées des mandats. L’initiative fut lancée par l’ancien Président de la République Valéry Giscard d’Estaing pendant la cohabitation Chirac-Jospin. En ramenant le mandat présidentiel à cinq ans et en faisant figurer les élections législatives après l’élection présidentielle, les majorités parlementaires avaient toutes chances de confirmer le verdict présidentiel comme cela fut confirmé. Dorénavant, la majorité portait encore plus son nom de majorité présidentielle. On avait parlé de « godillots » sous Georges Pompidou en moquant la soumission des députés de la majorité, les formules péjoratives ont disparu en attestant ainsi qu’elles n’étaient plus de saison. On parle dorénavant de discipline partisane. Et ce n’était plus le Premier ministre qui, comme au temps du général de Gaulle faisait figure de chef de la majorité et de grand ordonnateur des élections législatives mais bien le chef de l’État.

Pouvoir présidentiel et administration

 

Dès 1958, la prééminence présidentielle avait posé un problème aussi trivial que la localisation du Président, le palais de l’Élysée plutôt impropre à une administration nombreuse et forte ou au fort de Vincennes plus vaste mais au fâcheux relent militaire. Le développement de l’administration élyséenne fut en partie masqué par la façon dont l’État acquit progressivement les immeubles dans les environs de l’Élysée, constituant aujourd’hui un véritable quartier et par le recrutement du personnel de l’Élysée dont la principale partie a été composée de fonctionnaires détachés de divers ministères. À la suite le véritable budget de l’Élysée demeurait inconnu. Une clarification a été opérée sous les mandats de Nicolas Sarkozy et François Hollande tirant vers la transparence des comptes. Nicolas Sarkozy a même permis le contrôle de la Cour des comptes sur les finances de l’Élysée abandonnant ainsi un privilège de majesté.

À l’occasion de changements dans les mondes de la politique ou de l’économie, la presse spécialisée, les lettres confidentielles distribuées sur abonnement évoquent les coulisses des nominations des dirigeants. En 1964, alors qu’il avait des ambitions présidentielles, Valéry Giscard d’Estaing confiait à François Bloch Lainé sa vision d’un système présidentiel français calqué sur le spoil system américain. Si cela n’advint pas dans cette ampleur, la suite ne démentit pas complètement cette perspective. Si la Présidence réunit un peu plus d’un millier de personnes, la plupart de ces personnels ne sont pas des recrues politiques. Sans doute, les privatisations ont-elles fait perdre quelque pouvoir aux Présidents d’aujourd’hui encore que leur influence joue toujours dans les nominations aux conseils d’administration, dans les médias ou dans les directions de grandes écoles. La main prévisible de la capacité de nomination n’est pas invisible mais contribue fortement au pouvoir présidentiel.

Le charisme fonctionnel du Président

 

Comme une sorte de loi, pourquoi les demandes, les pressions, les calculs convergent-ils si vers un sommet qui est en quelque sorte le principal point de coordination tacite en politique ? L’économie du recours est ce mécanisme ordinaire quand on parle d’arbitrage qui prend souvent des façons plus brutales comme le veto ou le verrouillage. Ces manœuvres occupent beaucoup les politiciens sans qu’elles fassent l’objet de beaucoup d’analyses savantes. Il faut en effet une certaine familiarité avec cet univers pour saisir le sens des intrigues. Cela donne tout un langage comme les références à l’Élysée, au Château, le Président, « en haut lieu », jusqu’aux litotes pour initiés. L’arbitrage du château est couramment sollicité qui, au fil du temps et des enjeux, a fortement consolidé la prééminence présidentielle. Selon une voie civile d’ascension aux extrêmes, la logique de remontée des dossiers au sommet renforce la position vers laquelle, implicitement ou réellement, les « dossiers remontent ». Ce tropisme semble être le ressort effectif de ce que Max Weber a qualifié de charisme fonctionnel.

Le charisme qui procède de cette ombre tutélaire qui pèse sur de nombreuses décisions, nominations, peut fonctionner négativement selon une logique de bouc émissaire. Revers de la médaille selon lequel on s’en prend au pouvoir le plus évident pour des raisons de visibilité mais aussi d’autovalorisation. Il n’est qu’à penser aux mots d’ordre des manifestations – quel que soit le sujet – où l’on s’en prend au Président de la République, parfois violemment dans des slogans comme « Macron  démission » ou « Macron en prison » des gilets jaunes ou des manifestations antipass. Quitte à s’en prendre à quelqu’un, autant s’en prendre au chef. Cela relève d’un charisme négatif. Dans ce cas de figure, « la croyance dans les qualités extraordinaires de la personne » dont on suppose qu’elles sont positives dans la pensée de Weber et de ses successeurs, serait négatives pour ne pas dire diabolique.

 

Fétichisme politique et rétributions matérielles

Ce pourrait être une raison de diminuer la primauté d’un trophée politique dont nul ne contesterait qu’il soit de loin le premier. Si la politique n’est pas seulement une compétition narcissique et de prestige, elle l’est aussi. Il suffit de se reporter à l’actualité politique ordinaire et surtout à la pression des campagnes électorales pour constater combien la fonction présidentielle suscite les ambitions. La philosophie politique y verrait avec quelque consistance une expression d’une libido dominandi toujours renouvelée. On ne peut douter que la politique fonctionne aussi sur cette base malgré la répugnance des savants austères à l’évoquer. Après tout le ralliement le plus décisif au présidentialisme a été celui de François Mitterrand qui fit un usage privé très discutable de son statut, mobilisant les forces de l’ordre pour protéger sa vie privée et sexuelle, et d’autre part en se coulant dans les habits d’un monarque mécène pour mener les grands travaux de la capitale.

Face aux assauts de haine que vaut la fonction présidentielle, le jeu en vaut manifestement la chandelle s’il faut croire les ambitions présidentielles toujours plus nombreuses. En tout cas, il est une sorte de para-institution apparue au fil de l’histoire, celle d’ex-Président. De nombreux avantages avaient été réservés à ces anciens comme membres de droit du Conseil Constitutionnel mais aussi des avantages matériels de logement et de personnel. Ils ont été tardivement réduits. L’élection de présidents relativement jeunes à partir de Valéry Giscard d’Estaing inaugurait une sorte de « sage » comme la politique française les baptise. Retraités mais actifs à respectivement 57 et 63 ans, Nicolas Sarkozy et François Hollande inaugurèrent la nouvelle fonction. Au gré des souvenirs de quinquennat, déclinant rarement ou jamais une invitation sur un plateau, faisant le tour des libraires et grandes surfaces pour dédicacer leur dernier livre, apparaissant dans les cérémonies officielles, donnant leur avis sur la politique de leur parti ou du pays, lançant une pique ou un compliment de ci de là, et même dessinant un contour institutionnel à la fonction en plaidant l’irresponsabilité présidentielle quand d’anciens collaborateurs étaient jugés ou s’abritant derrière le devoir de réserve face aux candidatures des successeurs potentiels. Aux antipodes de l’attitude du premier retraité de la fonction le général de Gaulle retiré dans une solitude muette il est vrai pendant seulement un an précédant sa mort. Rien qu’on puisse souhaiter aux anciens présidents mais un constat qui oblige à s’armer de patience.

Pour citer cet article

Alain Garrigou, « Le présidentialisme et après », Silomag 14, janvier 2022. URL : https://silogora.org/le-presidentialisme-et-apres/

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