S’il s’agit bien d’un régime de retraite par répartition, le système des comptes notionnels suédois fonctionne à «cotisations définies» et non plus à «prestations définies». La différence est de taille puisque cela signifie que, le taux des cotisations sur salaire étant fixé une fois pour toutes, les droits à retraite peuvent être automatiquement et uniformément réduits pour rétablir l’équilibre financier du régime. Sylvie Durand nous explique le fonctionnement de ce système plébiscité par le Medef et les gouvernements européens et nous alerte sur les conséquences régressives qu’il a entrainées en Suède.
Dès 2008, deux économistes, Thomas Piketty et Antoine Bozio (conseiller de l’actuel gouvernement), théorisaient dans un texte conjoint, le bien-fondé de la transposition en France du système suédois des retraites dit des « comptes notionnels »[1].
Il s’agit d’un régime de retraite par répartition fonctionnant « à cotisations définies ». Par répartition, puisque les cotisations prélevées sur les salaires sont immédiatement reversées aux retraités sous forme de pensions. « À cotisations définies », puisque le taux des cotisations sur salaires est fixé « une fois pour toutes » à la mise en place du régime, et donc « ad vitam aeternam », ou en tout cas, pour toute la durée de vie du régime.
L’équilibrage financier automatique au cœur du système
Un tel système ne peut redistribuer sous forme de pensions que les sommes qu’il perçoit au titre des cotisations au régime. Il en résulte que si, pour quelque raison que ce soit, le montant des cotisations encaissées à un moment donné n’est plus suffisant pour honorer les droits à retraite, ceux-ci sont, du jour au lendemain, automatiquement et uniformément réduits de manière à rétablir l’équilibre financier du régime.
C’est exactement ainsi que fonctionne le régime « des comptes notionnels suédois ». On comprend aisément l’enthousiasme du Medef et des gouvernements européens soumis aux diktats des marchés financiers : un tel système supprime de facto tout besoin de financement supplémentaire des retraites, quelles que soient les évolutions démographiques, économiques et sociales.
Pour les populations concernées, la potion devient très amère dès lors que ce mécanisme d’équilibrage automatique s’applique. Par exemple en Suède, la réforme du système de retraite, à l’origine assez proche du nôtre, a été adoptée en 1994 et appliquée à compter de 2003. Or, dès 2010, toutes les pensions de retraite ont subi un abattement de 4,5 % ramené à 3 % grâce à des allégements fiscaux. Elles ont été à nouveau amputées de 7 % en 2011 puis de 2,7 % en 2014, soit au total et en cumul, de près de 10 % en 4 années !
Du même coup, le consensus droite/gauche, ayant permis la réforme suédoise a volé en éclats, surtout depuis que le Premier ministre suédois, Fredrik Reinfeldt a déclaré en février 2012 que les actifs devraient travailler jusqu’à 75 ans s’ils veulent pouvoir bénéficier du même niveau de retraite qu’en 2011.
Quel mode d’acquisition des droits?
Ce mode d’acquisition est calqué sur celui des régimes de retraite par capitalisation (fonds de pension, plans d’épargne retraite…) : l’agence suédoise de Sécurité sociale, qui gère le régime, enregistre année après année, sur le compte individuel de chaque salarié, le montant nominal des cotisations prélevées sur son salaire au taux de 16 %.
Le système fonctionnant en répartition, ce compte est virtuel (notionnel veut dire virtuel) puisque le montant des cotisations n’est pas transformé en actions, titres ou autres valeurs mobilières dont le cotisant deviendrait propriétaire, mais est immédiatement reversé sous forme de pensions aux retraités.
Ces montants de cotisation sont revalorisés chaque année selon un indice fixé par les responsables du régime. Lorsque le salarié prend sa retraite (il peut le faire dès l’âge de 61 ans), le capital virtuel qu’il a ainsi accumulé sur son compte est transformé en rente, exactement comme dans tout système d’épargne retraite : le montant annuel de la rente est obtenu en divisant le montant du capital accumulé par l’espérance de vie moyenne de la génération du salarié à l’âge où celui-ci prend sa retraite.
Il en résulte que plus il part tôt en retraite plus le montant de sa pension est faible et plus il part tard, plus ce montant est élevé. Du moins théoriquement, car le système fonctionnant à cotisations définies, un « mécanisme d’équilibrage automatique » (MEA) ajuste en permanence au cours des années le montant calculé de chaque rente de manière à ajuster le montant total des rentes à verser au montant total des cotisations encaissées.
Concrètement si le régime doit verser 100 euros de rente alors qu’il n’a perçu que 70 euros de cotisations (dont le taux, rappelons-le, ne peut, par construction, augmenter), il applique à la pension un mécanisme d’équilibrage automatique qui prend la forme d’un coefficient en l’occurrence de 0,70.
0,70 x 100 € = 70 €
Ainsi, du jour au lendemain, là où un retraité percevait 100 euros de pension, il ne percevra plus que 70 euros. La réversion devient une option facultative. Lorsqu’elle est exercée, le régime ajoute à l’espérance de vie du retraité celle du conjoint survivant ce qui a pour effet de diminuer le montant mensuel de sa rente.
Les nouveaux termes de la bataille
Il s’agit donc d’un système de retraite, certes par répartition, mais qui fonctionne « à cotisations définies » par opposition au système, également par répartition, mis en place en 1945, et qui lui, a été conçu pour fonctionner « à prestations définies », c’est-à-dire pour garantir un niveau déterminé de pension, en l’occurrence un taux de remplacement déterminé du salaire par la pension de retraite. Ce taux avait été historiquement fixé à 75 % dans la fonction publique, et c’est cet objectif que les régimes du privé avaient visé et quasiment atteint à la veille de la réforme de 1993.
C’est donc ce mécanisme d’équilibrage automatique qui fascine les gouvernements en place dans nombre de pays européens, dont le nôtre, car il les décharge « de la responsabilité de prendre les décisions difficiles et si sensibles qui consistent à suivre, contrôler et ajuster en permanence les paramètres du système des retraites » ([sic] Karl Gustaf Scherman, ancien directeur de l’Agence suédoise de Sécurité sociale, président honoraire de l’Association internationale de Sécurité sociale, in Le mécanisme d’équilibrage automatique de la Sécurité sociale, septembre 2011).
La bataille se pose donc en termes nouveaux : il ne s’agit plus, dans l’immédiat, de choisir entre répartition et capitalisation, mais entre répartition « à prestations définies » et répartition « à cotisations définies ».
Ceci étant, la mise en œuvre d’un système « à cotisations définies » entraînera de telles baisses du niveau des pensions par rapport au salaire de carrière (au minimum de 25 %) que les citoyens tenteront nécessairement l’aventure de l’épargne retraite pour essayer de compenser le manque à gagner.
C’est d’ailleurs là tout le calcul des libéraux et du Medef, qui proposent déjà d’ajouter un « pilier » en capitalisation obligatoire, histoire de renflouer les fonds de pension américains tout en développant un business très lucratif pour les actionnaires des compagnies d’assurance et des banques. Mais si l’argent existe pour financer la capitalisation, pourquoi ne pas l’affecter au financement de la répartition « à prestations définies »?