Alain Obadia
Président de la Fondation Gabriel Péri
Transformer le travail, faire reculer les réalités de l’exploitation dont il est aujourd’hui le vecteur, permettre que s’exprime à plein son potentiel émancipateur implique de se doter des moyens pour assurer sa maîtrise sociale (au sens de maîtrise collective et/ou de maîtrise par la société).
Cela pose tout à la fois des enjeux de démocratie au sein des entreprises – avec des droits et des pouvoirs nouveaux pour les salariés – et des enjeux ayant trait aux différentes formes d’appropriation sociale envisageables.
Ces terrains de transformation sont parmi ceux qui rencontrent l’opposition la plus acharnée des tenants de la domination du capital. Pour eux, les principes démocratiques n’ont pas leur place dans l’entreprise. L’entreprise et la propriété du capital sont complètement assimilées. Le système oligarchique (pouvoir réservé à quelques uns) et la logique censitaire (droit de vote dépendant du nombre d’actions) règnent en maître.. Si certains d’entre eux sont près à concéder que les salariés pourraient avoir plus de latitude pour décider dans la mise en œuvre concrète de leur travail, la question des objectifs à atteindre ou encore celle des orientations stratégiques sont considérées comme des territoires interdits. Bref, il serait à la limite possible de discuter du « comment » mais jamais du « pour quoi » or c’est ce « pour quoi » qui détermine tout le reste.
Ces faits apparaissent, à beaucoup, comme une fatalité. Dans un pays qui se dit démocratique, pourquoi ne pourrait-on pas, au contraire, les discuter, les critiquer et les remettre en cause ? La capacité des salariés à intervenir sur les décisions stratégiques est déterminante si l’on veut transformer les réalités actuelles et répondre aux défis du XXIe siècle. Cette capacité peut prendre des formes diverses allant du développement des pouvoirs des instances représentatives des salariés (notamment de celle des Comités d’entreprises) jusqu’à des pouvoirs d’intervention directe tant sur les stratégies que sur les organisations du travail en passant par la présence d’administrateurs salariés dans les conseils d’administration. Plus généralement, les travailleurs doivent pouvoir intervenir et peser réellement sur les choix qui ont un impact sur leurs conditions de travail mais également sur la qualité, le sens ou encore l’utilité sociale de leur travail. A nous de recenser les propositions existantes et les expérimentations comme d’en débattre pour en imaginer de nouvelles.
Les approches en termes d’appropriation sociale constituent l’autre volet de l’enjeu de la maîtrise sociale du travail. Cette notion d’appropriation sociale renvoie au processus et aux conditions par lesquels les travailleurs – quel que soit leur statut – utilisent réellement les droits, pouvoirs, procédures ou encore institutions existants et à conquérir pour accroître les dimensions émancipatrices et épanouissantes du travail. C’est en s’appropriant collectivement la possibilité et les moyens de faire des choix que nous pourrons transformer les manières dont l’on produit, les manières dont l’on travaille, les manières dont l’on consomme. Des différentes formes d’organisation de l’économie sociale et solidaire (coopératives, associations, mutuelles etc.) aux différentes modalités de propriété publique en passant par les formes novatrices de gestion des communs, les expériences s’inscrivant dans une démarche d’appropriation sociale sont nombreuses. À nous de les connaître et de chercher à les améliorer.
Nous espérons que vous serez nombreux à venir aider Silo à rassembler et organiser les connaissances sur ces problématiques si fondamentales pour transformer l’ordre existant.