De l’art de faire son marché à celui de vendre une marchandise, le marketing s’est imposé au 20e siècle pour orienter la production, en sondant les pratiques d’achat. En s’appuyant sur son dernier ouvrage, Thibault Le Texier discute dans cet entretien des enjeux de l’interdépendance du marketeur et du consommateur qui se constituent comme deux figures indissociables après la Seconde Guerre mondiale. Loin d’être toute-puissante, la publicité incite en permanence les consommateurs qui, par leurs achats, conditionnent en retour son niveau d’investissement financier.
Cela fait bien longtemps que les marchands cherchent à comprendre les états mentaux des consommateurs afin d’orienter leurs décisions d’achat. Avec le développement des innovations numériques actuelles, ce travail de captation d’informations est institué par le biais de nouveaux dispositifs sociotechniques. Ces dispositifs participent alors à instaurer une forme de gouvernance algorithme des marchés qui posent des problèmes cognitifs et sociaux, nécessitant d’être mieux décrits et compris. C’est ce à quoi s’attelle Jean-Sébastien Vayre dans cet article, en discutant du poids des algorithmes dans la fabrication des consommateurs.
Dans cet article, Martin Bruegel montre que l’enjeu de l’alimentation participe des luttes sociales pour définir la figure légitime du « consommateur ». Au début du 20e siècle, cherchant dans la malnutrition ouvrière un ferment de la tuberculose, des réformateurs sociaux s’attellent à promouvoir de nouvelles normes pour changer les pratiques alimentaires populaires jugées irresponsables. L’efficacité supérieure mise en exergue de ces normes repose sur la détermination du juste coût économique des calories, nécessaires à la reproduction de la force de travail. Si la campagne n’a eu à l’époque que peu d’effets concrets, cet exemple illustre pourtant bien ce que la production d’un tel modèle abstrait de consommateur doit à sa mise en conformité avec l’économie de marché, et le type de rationalité qu’elle requiert.