Lundi 27 janvier 2025 sur LCI : le Premier ministre François Bayrou dit entendre, et comprendre dans la population « un sentiment de submersion » généré par l’immigration :
« Je pense que les apports étrangers sont positifs pour un peuple à condition qu’ils ne dépassent pas une proportion. Je pense que la rencontre des cultures est positive. Mais dès l’instant où vous avez le sentiment d’une submersion, de ne plus reconnaître votre pays, de ne plus reconnaître les modes de vie ou la culture, dès cet instant-là, vous avez rejet ». (https://www.tf1info.fr/politique/videos/video-submersion-migratoire-les-propos-de-francois-bayrou-divisent-5178-2347379.html)
Homme politique centriste, depuis longtemps président du Modem et précurseur du « ni droite ni gauche » de Macron, F. Bayrou reprenait quasiment à l’identique les propos de Renaud Camus, penseur de l’extrême droite française et plus largement européenne. C’est en effet ce dernier qui va populariser, dans les années 1990, la théorie du « grand remplacement » : le remplacement en cours des populations françaises dites de souche par les populations venues d’ailleurs.
Comme l’a fait F. Bayrou en mentionnant, non pas des faits, mais le « sentiment d’une submersion » que vivrait le peuple français, R. Camus argumentait ce grand remplacement par sa propre expérience, par son vécu de nature phénoménologique :
« En traversant cette zone littorale de l’Hérault, ce que je voyais était différent des problèmes des cités (…) Aux fenêtres et sur les seuils de ces très vieilles maisons, une population inédite (…) Comme si pendant le temps de notre vie, et moins encore, la France était en train de changer de peuple ».
La perception contre les faits
D’un côté, nous avons donc des expériences vécues, des ressentis, des opinions de Français obtenues par des instituts de sondage : 7 Français sur 10 auraient bien un « sentiment de submersion » selon une enquête commandée par le journal Le Figaro.
De l’autre, nous avons des faits, des chiffres et de très nombreuses données statistiques. Selon le recensement annuel de la population de France établi par l’INSEE, il y a en France (https://www.insee.fr/fr/outil-interactif/5367857/tableau/20_DEM/25_ETR ) :
En 2006, 5,1 millions d’immigrés
En 2023, 7,3 millions d’immigrés
Soit une augmentation de 2,2 millions en 17 ans
Soit une moyenne de 125 000 immigrés par an, sur une population totale de 68 606 000 habitants en janvier 2025.
Loin, très, très loin d’une submersion ou d’un grand remplacement.
Mais que peut la vérité froide des données statistiques face aux ressentis, aux impressions, aux sentiments ?
Que peuvent les scientifiques, démographes, sociologues, sociolinguistes, qui depuis des décennies démontrent que les idées de « seuil, quotas, proportion d’immigrés » n’ont aucun sens ? Que peuvent ces travaux face au déferlement d’une propagande orchestrée par des media qui associent sans aucun argument les immigrés à la délinquance voire au terrorisme ?
Que peut la raison face à une inflation de discours médiatiques qui submergent nos consciences et les façonnent ?
Quand la langue pollue les consciences
« Grand remplacement », « remigration », « sentiment de submersion » : autant d’expressions qui ne reposent sur aucune vérité scientifique, qui sont à proprement parler des contre-vérités, des mensonges. Pourtant, ça marche, ça fonctionne, ça alimente des enquêtes d’opinion qui elles-mêmes valident des positions politiques.
![](https://silogora.org/wp-content/uploads/2025/02/9782226484840-j.jpg)
Faisons appel à Victor Klemperer (1881-1960) : ce philologue allemand observa scrupuleusement les transformations que durant douze années le régime nazi apporta à la langue allemande elle-même. Il en rendit compte dans son journal intime dont une partie fut publiée en allemand en 1947 en RDA ; la première traduction en français datant de 1996 : LTI, la langue du IIIe Reich. Carnet d’un philologue(Albin Michel, nouvelle édition en 2023).
Cette LTI, ou Lingua Tertii Imperii, c’est la langue allemande que le nazisme modifia, jour après jour et de façon à peine perceptible pour tout un chacun. V. Klemperer montre avec précision comment ce régime a procédé à une nazification de la langue allemande qui polluait les consciences à la manière insidieuse d’un poison instillé lentement. Il écrivait que les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps, l’effet toxique se fait sentir.
Et aujourd’hui ?