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Une crise sociale planétaire amplifiée par le Covid-19

Une crise sociale planétaire amplifiée par le Covid-19Temps de lecture : 6 minutes

Alors que les répercussions sociales de la crise liée au Covid-19 s’annoncent catastrophiques à l’échelle mondiale, Bernard Thibault nous invite à nous rappeler les leçons de l’histoire largement admises après la Seconde Guerre mondiale : ne pas s’occuper de la misère ou de la précarité à un endroit de la planète, c’est prendre un risque pour la prospérité de tous. Après avoir dressé un panorama de la situation, il insiste sur l’urgence d’instaurer un droit fondamental et effectif à la protection sociale pour tous les peuples.

Il est encore difficile d’avoir une évaluation précise des conséquences de la crise provoquée par le COVID 19 et pour cause nous n’en connaissons pas la durée et son impact final. Une crise qui par sa nature et son ampleur internationale est sans précédent. Les premiers indicateurs, le nombre de pertes humaines et les répercussions sanitaires de plus long terme restent de dramatiques inconnues. Plus largement, les répercussions sociales s’annoncent redoutables. Certaines sont déjà mesurables, d’autres sont prévisibles si des ruptures ne sont pas décidées rapidement dans les politiques à l’œuvre sur un plan national et international.

L’interdépendance des populations sur leur destin futur

Cette crise, d’abord sanitaire, permet de mieux mesurer l’interdépendance des populations sur leur destin futur. Hier déjà, nous pouvions percevoir combien d’autres menaces comme la course aux armements ou l’impasse environnementale liaient le sort des uns aux autres. Aujourd’hui, un virus, inattendu pour beaucoup, génère angoisse et anxiété sur la planète entière d’abord pour ses potentielles répercussions immédiates pour la vie et la santé des individus, ensuite pour son impact social à court et moyen termes.

Comme pour d’autres fléaux de grande portée, il y a au moins 2 réactions possibles :

  • Le repli sur soi, par exemple sur une base nationale ou identitaire, en vue d’une illusoire protection face à la menace
  • La recherche d’alternatives solidaires qui sachent conjuguer « le local » à « l’international » considérant que nos sorts sont interdépendants.

L’Organisation internationale du Travail a déjà qualifié cette période de « crise mondiale la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale ». Tous les continents sont concernés. 94% des travailleurs ont été, ou sont encore, dans des pays où existent des mesures de fermeture de lieux de travail sous une forme ou une autre. La perte d’emploi estimée au 2e trimestre était de 305 millions d’emplois équivalents temps plein. C’est plus de 1,2 milliard de personnes qui courent désormais un risque élevé de licenciement ou de réduction de salaire. Nous savons d’expérience que l’absence de ressources suffisantes pour les parents est le premier facteur qui alimente le travail des enfants. Une pratique proscrite par le droit international.

Un accroissement des inégalités

Les inégalités déjà flagrantes avant la pandémie se sont accrues avec elle. Ce sont les zones « des plus démunis » qui recensent le plus de victimes et de suppressions d’emploi. Ce sont les plus précaires dans l’emploi qui sont les premiers « nouveaux chômeurs ».

Parmi eux, les jeunes qui travaillaient étaient déjà à 77% pour les moins de 25 ans dans l’économie informelle et donc non déclarés. 267 millions étaient non scolarisés et sans emploi avant la crise. L’interruption des études à entrainer son lot de discriminations supplémentaires liées à ses origines sociales, son pays de résidence et sa capacité matérielle à penser des alternatives. On parle désormais d’une « génération possiblement sacrifiée ».

Les femmes seront aussi proportionnellement davantage victimes, occupant les emplois de « premières lignes », plus précaires que la moyenne, assumant la double tâche au foyer avec moins de protection sociale que les hommes.

Le travailleur migrant très souvent première variable d’ajustement subit les restrictions de circulation, les conditions d’hébergement insalubre voire l’absence de statut dans le pays où il exerce pourtant depuis des années à l’image de ces milliers de marins confinés dans leur navire au milieu des océans pendant des semaines sans que grand monde ne s’en émeuve.

Des accès aux droits et à la protection sociale très variables

Si le virus frappe sans distinction de nationalité ou de couleur de peau, force est de constater qu’il y a une évidence qui s’impose : tous les travailleurs n’ont pas les mêmes droits pour faire face à une pandémie mondiale et singulièrement concernant leur accès à la protection sociale.

Aujourd’hui 55% de la population mondiale, soit environ 4 milliards de personnes ne bénéficient d’aucune forme de protection qu’il s’agisse d’assurance maladie, d’indemnisation chômage, de couverture des accidents du travail, de congés maternité, de retraites… Beaucoup de pays s’appuient sur des mécanismes d’assurance privée (accessible à une minorité) comme alternative à l’absence de système public. 40% ne disposent d’aucune assurance maladie et d’accès au service de santé. Les politiques d’austérité et « d’assainissement des finances publiques » ont contribué à affaiblir les capacités existantes des réseaux de santé et les prestations garanties aux travailleurs y compris dans les pays les plus développés.

Alors que le chômage va exploser, seul 1 chômeur sur 5 à droit à des indemnisations. Beaucoup n’ont pas d’autres choix que de continuer à travailler à tout prix pour continuer de se nourrir au péril de leur vie. Dans bien des pays, vous perdez à la fois votre emploi, parfois la santé, l’assurance maladie et les droits à la retraite qui y sont liés. Concernant les retraites assises sur des fonds de pension, elles subiront les aléas des marchés financiers et risquent d’entrainer une paupérisation considérable des plus âgés. Ce sont là les conséquences dramatiques du fossé entre les délibérations internationales qui engagent les États à faire de la protection sociale une priorité mondiale et les politiques concrètes mises en œuvre qui vont à l’inverse.

Pour faire face à l’urgence, une centaine de pays ont improvisé ces derniers mois des mesures instaurant des aides sociales temporaires, des dispositions protégeant du chômage total, des distributions alimentaires… Ce sont là des interventions ponctuelles et conjoncturelles qui débouchent sur une réponse limitée et tardive.

Les enseignements de l’histoire

Il faut rappeler dans cette période quelques enseignements historiques. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Organisation internationale du Travail soulignait, dans la fameuse déclaration dite de Philadelphie de 1944, que « toute zone de pauvreté, où qu’elle se situe, représente une menace pour la prospérité de tous ». Les responsables de l’époque ont fait cette analyse à partir des conséquences de la crise de 1929 qui s’est déroulée avant la mise en place et le développement des systèmes de protection sociale. Il n’y avait alors peu ou pas de prise en charge du chômage, de la maladie, de la retraite. La crise économique de 1929 a ainsi provoqué un tsunami social considérable. L’absence de réel système de protection sociale a constitué un terreau de misère et de précarité qui a été le ferment du développement des idées racistes, xénophobes, ayant donné lieu à l’avènement du nazisme, responsable de la Seconde Guerre mondiale.

Après coup, on a considéré à juste titre que ne pas s’occuper de la misère ou de la précarité à un endroit de la planète, c’était prendre un risque pour la prospérité de tous. Aujourd’hui, une couverture sanitaire et sociale insuffisante ne met pas seulement en danger la population d’un pays, mais la communauté internationale tout entière.

Déjà, dans son rapport 2017/2019 sur la protection sociale, l’OIT soulignait :

« Il faudrait embaucher 10 millions de professionnels de la santé pour atteindre une couverture sanitaire universelle et garantir la sécurité de la population, notamment en cas de maladie hautement contagieuse comme Ebola »[1].

Il est nécessaire de prendre des mesures d’urgence et de réhabiliter au plus vite une évidence : « il faut consacrer la primauté des aspects humains et sociaux sur les considérations économiques et financières » comme le proclamait le même texte de Philadelphie. Il est scandaleux que l’essentiel du commerce mondial repose sur 60% d’emplois informels sans contrat de travail et des droits en découlant. Il est impossible de continuer à déléguer les affaires du monde au monde des affaires avec 80 000 multinationales qui dictent la marche de l’économie mondiale « quoi qu’il en coûte » sur le plan humain et environnemental. La dernière conférence de l’OIT relevait qu’entre 1980 et 2016, les 1% les plus riches de la population mondiale ont absorbé 27% de la croissance du revenu mondial, alors que les 50% les plus pauvres n’ont bénéficié que de 12%.

L’urgence d’un droit effectif à la protection sociale pour tous

Dans le « monde d’après », la protection sociale doit constituer un droit effectif et fondamental pour tous les peuples ! Loin de donner lieu à une prise de conscience partagée qu’«on ne peut pas repartir comme avant», la crise du COVID peut servir de nouvel alibi facile pour tenter de justifier la poursuite de réformes réactionnaires. On recense déjà une centaine de pays qui, au nom de la crise, ont décrété des réformes anti sociales portant tantôt sur les libertés syndicales, des règles assouplies pour le licenciement, les horaires de travail, l’indemnisation du chômage (lorsqu’elle existe !) … un État de l’Inde à même suspendu l’application du Code du travail !

Dans « le monde d’après », il va falloir repenser la structure et les attributions des institutions internationales chargées de dire le droit et donc de façonner le monde de demain, singulièrement dans sa dimension sociale

Pour citer cet article

Bernard Thibault, «Une crise sociale planétaire amplifiée par le Covid-19», Silomag, n°11, juillet 2020. URL: https://silogora.org/une-crise-sociale-planetaire-amplifiee-par-le-covid-19/

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