Débats et alternatives
Cet espace vise à rendre compte du mouvement et de la confrontation des idées. Les contributions doivent permettre d’approfondir ou de présenter une thématique en lien avec une actualité politique, sociale, économique ou encore scientifique. À titre d’illustration, les contributeurs peuvent présenter une opinion argumentée, un état des lieux d’une question ou d’une recherche scientifique ou encore les enjeux d’une controverse.
Il existe des sous-rubriques qui peuvent varier en fonction des dossiers :
des repères afin de situer et d’éclairer la thématique (focus, chronologie, définitions, chiffres clés, etc.) ;
des pensées et pratiques alternatives car notre ambition ne se résume pas à décrire l’ordre des choses, mais également penser et faire connaitre des transformations progressistes;
des expériences étrangères afin de s’interroger sur les mouvements de convergences et de divergences entre les différents pays.

L’essor des technologies numériques participe de la transformation actuelle du capitalisme. Les structures de l’économie des plateformes et la segmentation des grandes firmes en unités autonomes interdépendantes procèdent d’un même modèle réticulaire d’organisation et de transmission de l’information. Dans cet article, Maxime Ouellet montre les liens entre le développement technique des algorithmes et l’idéologie néolibérale. En appréhendant la technologie comme une forme d’objectivation des rapports sociaux, il dépeint comment la gouvernance algorithmique travaille à généraliser une rationalité purement économique en l’imposant au consommateur dans toutes les dimensions de sa vie.

Si le marché de la rencontre entre célibataires ne date pas du développement des technologies numériques – en France, les premières agences matrimoniales apparaissent dès le début du 19e siècle –, l’essor d’internet en a généralisé l’accès. La profusion des sites de rencontre permet désormais de consulter, en quelques clics sur son téléphone, des catalogues inépuisables de partenaires potentiels. Philippe Lefebvre souligne ici l’incidence psychique de cet état de fait, où se mêlent réification et addiction aux shoots de renarcissisation.

Quand on s’interroge en 2022 sur l’utilisation des traces numériques que nous semons quotidiennement, la lecture du célèbre roman d’anticipation 1984 de George Orwell peut nous sembler bien fade sur certains aspects. Big Brother est aujourd’hui un marché concurrentiel mondial d’entreprises privées spécialisées dans le recueil de données biographiques et leur traitement par des intelligences artificielles. Deux pôles clairement identifiés s’affrontent dans la course à l’innovation : la Chine et les États-Unis. Dans cet article Hélène Jeannin propose une vue d’ensemble des applications et des implications relatives à la généralisation des technologies de surveillance, que favorisent les dynamiques de concentration urbaine de la population mondiale. Big Brother veille autant qu’il surveille au su et au vu de toutes et tous, au point d’orienter les comportements de manière insidieuse. La gouvernementalité algorithmique au service de la révolution anthropologique du néolibéralisme ?

Le marché africain de l’identification biométrique est en forte expansion depuis 2010. En s’appuyant sur le cas du Kenya, Héloïse Grard met en perspective les enjeux politiques du développement contemporain de cette technologie d’État au regard de la domination coloniale européenne passée. L’assignation à chaque citoyen.ne d’un numéro d’identification unique regroupant l’ensemble des informations connues par les administrations suscite aujourd’hui des mobilisations, pour éviter notamment qu’une partie de la population soit écartée de la reconnaissance juridique et des droits afférents, en raison des contraintes techniques de convergence des bases de données.

Les politiques néolibérales des gouvernements successifs n’en finissent pas de saper les fondements du service public de l’éducation depuis 20 ans. En 2018, la loi Orientation et réussite des étudiants met en place la plateforme Parcoursup pour affecter les étudiant.e.s dans les formations de l’enseignement supérieur. Elle entérine un principe de sélection, tout en produisant et concentrant un volume conséquent d’informations dont sont friands les marchés pour leur fonctionnement. A partir de son expérience à Science Po Bordeaux, Vincent Tiberj nous éclaire dans cet entretien sur les implications concrètes des algorithmes de sélection dans l’enseignement supérieur.

Le temps où l’on offrait à boire au facteur est bel et bien révolu. A La Poste, le temps est devenu l’un des facteurs du profit. La recomposition des cadences qui y a cours et la surcharge de travail qui en découle réactualisent l’ancien mythe tayloriste d’une organisation « scientifique » du travail. Les organisateurs de bureau assistés d’outils informatiques, d’algorithmes, se sont substitués aux vérificateurs de terrain chronométrant la durée des tournées au début du 20e siècle. Nicolas Jounin examine dans ce texte les transformations actuelles de l’activité des facteurs et des factrices, pris dans la contradiction d’une augmentation des distances à couvrir, notamment due à la diminution drastique du nombre de centres de distribution, et la réduction des volumes du courrier.

La généralisation à l’ensemble du monde du travail du management algorithmique, initialement développé dans les entreprises plateformes, semble être en bonne voie. Les imprévues du réel constituent pourtant un solide obstacle à l’automaticité des tâches prescrites par un algorithme imperméable aux événements qu’il ne connait pas. Dans cet article, Matthieu Trubert interroge ainsi l’opportunité de confier l’organisation et l’animation d’un groupe de travail à une machine opérant une série de calculs. Se pose notamment le problème central de la responsabilité morale et juridique des décisions.