À l’encontre de ce qui est ressenti par les employeurs, le gouvernement et même le grand public, le licenciement pour motif personnel n’a rien d’un droit spécialement protecteur des salariés. C’est pourtant cette crainte que le gouvernement entend combattre en établissement un nouveau cadre juridique. Si cette réforme peut être considérée comme un moyen de trouver un équilibre entre la protection des salariés et la « sécurisation » juridique des employeurs, il n’est pas dit qu’elle ne participe pas à l’affaiblissement de la situation des salariés face à leurs employeurs.
La réception par le grand public (y compris par les employeurs non spécialistes de droit du travail) du licenciement pour motif personnel est depuis longtemps erronée. Il est de bon ton de croire, et de dire, que le droit du licenciement est spécialement protecteur du salarié ; substantiellement, il n’en est rien, ou pas grand-chose. Qu’exige la loi de l’employeur qui provoque la rupture du contrat de travail ? Qu’il dispose d’une cause réelle et sérieuse de licenciement, voilà tout ! L’exigence n’est pas seulement appelée par la « morale », elle procède tout autant d’une logique « économique ». L’une et l’autre vont de conserve : l’employeur qui se sépare d’un salarié sans raison est un employeur irrationnel, donc un mauvais gestionnaire.
Un droit actuel du licenciement protecteur du salarié?
Une étude des causes de licenciement admises par la Jurisprudence apporte la réponse. L’employeur est admis à licencier le salarié fautif, le salarié inefficace, le salarié malade (pourvu que l’absence pour maladie affecte le fonctionnement de l’entreprise), le salarié empêché, pour des raisons personnelles « légitimes », de respecter l’ordre de l’employeur afférent, par exemple, aux horaires ou au lieu de travail voire, dans certains cas, le salarié (la salariée) prétendant observer, sur son lieu de travail, ses convictions religieuses. Une seule exigence pèse sur l’employeur : justifier du grief qu’il invoque. In fine, il n’y a guère que les licenciements inspirés par une pure intention de nuire (discrimination, harcèlement…) qui sont par principe prohibés par la Loi, ce qui paraît la moindre des choses (il en va de même dans tous les autres contrats : vente, bail…). Et encore… La Cour de cassation a récemment jugé dans une décision qui laisse dubitatif que les règles interdisant d’employer un salarié sans titre de séjour primaient sur celles assurant la protection de la salariée enceinte contre la rupture de son contrat de travail[1]. Bref, à s’en tenir à la substance même du licenciement pour motif personnel, le droit du licenciement n’a rien d’un droit spécialement protecteur du salarié.
C’est pourtant ainsi qu’il est ressenti, par les employeurs et… le gouvernement. Certains y verront de l’opportunisme ; d’autres, peut-être naïfs, mais pour lesquels la bonne foi se présume, reconnaîtront la pertinence de quelques arguments. Le Conseil de prud’hommes n’est pas le lieu judiciaire où les employeurs triomphent le plus souvent ; et il n’est pas rare que la victoire du salarié repose sur des arguments de pure forme, notamment sur le défaut de motivation de la lettre de licenciement. Quant à l’ampleur des condamnations, elle peut parfois surprendre. Le grand public ignore – ou ne se rappelle pas – que le licenciement illicite est susceptible de donner lieu non pas à une indemnité, mais à plusieurs[2], lesquelles, selon les circonstances, se cumulent ou non. Davantage, le contentieux de la rupture du contrat de travail est aussi le contentieux du solde de la relation de travail : à cette occasion, le salarié réclame non seulement l’indemnisation du préjudice subi du fait de la rupture, mais encore des autres préjudices subis antérieurement, au cours de l’exécution du contrat. Exemple classique encore : la demande tendant au payement d’heures supplémentaires. Si bien que la condamnation totale prononcée peut ne pas recouvrir seulement l’indemnisation du licenciement, mais un large champ de préjudices.
C’est ce sentiment – cette crainte – que le Gouvernement entend combattre par la troisième des ordonnances. Il prétend établir un « cadre juridique dynamisant parce que sécurisé »[3]. L’argument, décliné au licenciement, vaut ce qu’il vaut ; la décision qu’il implique – sécuriser (pour l’employeur) le licenciement – est, en elle-même, une décision Politique. Il n’en demeure pas moins que les évolutions contenues notamment aux articles 2 à 6 de l’Ordonnance n° 3 relative à la prévisibilité et la sécurisation [NDA : de la rupture ?] des relations de travail ne bouleversent pas le droit du licenciement. En exemple, deux mesures parmi d’autres[4] relatives à l’indemnisation et à la motivation du licenciement.
À s’en tenir là, la réforme pourrait être saluée comme l’identification d’un « point d’équilibre » entre la nécessité sociale de protéger les salariés de l’arbitraire de l’employeur et l’aspiration économique de ce dernier à la sécurisation des actes juridiques (ici le licenciement) qu’il passe. Il n’est pas dit que cette « sécurisation » n’affaiblisse pas la situation des salariés face à leur employeur. Le doute, l’incertitude et la crainte sont eux-mêmes, indépendamment du bien-fondé de leur cause, des instruments dont disposent les salariés contre l’influence de leur employeur. Restreindre la disponibilité du juge à l’endroit des salariés c’est, déjà, renforcer la situation de l’employeur : moins exposé en droit, l’employeur accroit de fait sa puissance.
L’indemnisation du licenciement
L’indemnisation du licenciement est un thème phare des ordonnances. Il est certainement celui dans lequel l’effet psychologique est le plus nettement recherché tant la portée réelle des évolutions paraît limitée. Les mesures relèvent davantage de la communication que du droit (mais, à la vue des réactions de tous bords, la communication est un succès).
La réforme inclut deux évolutions distinctes. La première a trait à l’augmentation de 25 % de l’indemnité légale de licenciement, celle que perçoit tout salarié licencié (sauf faute grave ou lourde) ou consentant à rupture conventionnelle. L’annonce est belle ; il ne faut pas se méprendre sur sa portée. En raison des modalités de calcul de cette indemnité, les sommes en jeu, notamment pour les salariés disposant de peu d’ancienneté, sont très faibles[5]. La seconde a trait au plafonnement des indemnités dues en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le droit actuel prévoit (en simplifiant) une indemnité « plancher » de six mois de salaires pour un salarié justifiant d’au moins deux ans d’ancienneté. La réforme (toujours en simplifiant) fixe un « plancher » de trois mois de salaire, agrémenté d’un plafond, croissant avec l’ancienneté jusqu’à 20 mois pour les salariés ayant trente ans d’ancienneté et au-delà. Entre ces deux seuils, le juge fixera le préjudice. En apparence, l’évolution est substantielle[6]. Toutefois, d’une part, l’indemnité encadrée est la seule indemnité réparant le préjudice lié à la rupture – les autres préjudices, notamment ceux nés durant l’exécution du contrat, y échappent – et, d’autre part, en dépit de maladresses de rédaction, cet encadrement est écarté lorsque le licenciement est nul (not. : discrimination, harcèlement…). Il n’est pas dit du tout que les pratiques des conseils de prud’hommes en soient bouleversées.
La motivation du licenciement
La Jurisprudence actuelle, avec raison au regard des textes, contrôle minutieusement la rédaction des lettres de licenciement. Le motif de la rupture du contrat de travail doit, au jour de l’envoi, y être scrupuleusement décrit. Toute défaillance, indépendamment de la bonne foi de l’employeur, est rigoureusement sanctionnée : le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse même si, dans les faits, l’employeur disposait réellement d’une telle cause et était, devant le juge, en mesure d’établir cette dernière.
L’article 4 de l’ordonnance bouleverse cet élément de la procédure de licenciement. Il charge d’abord le pouvoir règlementaire d’élaborer un modèle de lettre de licenciement. Les petites entreprises, celles qui sont peu au fait des exigences que suppose la rédaction d’un tel document y gagneront de la sécurité. Le même article autorise encore l’employeur à « compléter » la lettre de licenciement après son envoi. Enfin, si le salarié ne réclame pas lui-même, avant tout le contentieux, des précisions sur le motif de licenciement, le manque de motivation n’emportera plus, à lui seul, un licenciement sans cause réelle et sérieuse : l’employeur, s’il établit ensuite une telle cause devant le juge, ne sera tenu que d’une indemnité d’un mois de salaire.
Certes le « droit à l’erreur » de l’employeur affaiblit la situation du salarié. Celui-ci ne tirera plus profit à l’occasion du contentieux des maladresses plus ou moins volontaires de l’auteur du licenciement. Il faut toutefois souligner l’équilibre théorique d’une mesure qui fait prévaloir, sous le contrôle d’un juge toujours présent, la substance du litige – l’existence, en réalité, d’une cause réelle et sérieuse – sur la procédure – l’expression par l’employeur de ladite cause. En comparaison du droit actuel, seuls « perdront » les salariés pour lesquels il existait une telle cause quoique leur employeur n’ait pas su la dépeindre assez précisément.
Un travail de sape
In fine, y compris dans l’optique de la protection immédiate des salariés licenciés pour un motif personnel, la réforme ne choque pas outre mesure.
C’est à plus long terme qu’elle inquiète, car elle participe d’une politique plus globale dont l’objet est de priver successivement les salariés non de leurs droits substantiels, mais des instruments juridiques et judiciaires auxquels ils pouvaient recourir, même à tort, dans le cadre d’un rapport de force économique avec l’employeur. Un parallèle peut être tracé à cet égard avec une autre mesure phare de la réforme, la réunion des instances représentatives du personnel. En elle-même, cette réunion n’est pas irrationnelle. Il n’est pas rare que, du côté salariés, les acteurs soient les mêmes dans les différentes instances, le coût, notamment administratif, de gestion de ces instances est réel (ainsi que les risques juridiques attachés à cette gestion) et personne ne sait vraiment en quoi la séparation est spécialement plus protectrice des salariés. Et pourtant, de la même manière que l’incertitude liée à l’examen judiciaire du licenciement permet de prévenir l’exercice par l’employeur de son pouvoir de licencier, la multiplicité des institutions représentatives du personnel, par le jeu minutieux, sous le contrôle du juge, de l’ordre et des délais de consultation de chacune d’entre elles, permettait aux représentants du personnel de tempérer et de freiner les décisions les plus violentes de l’employeur, notamment dans le cadre de grands licenciements économiques. Dans les deux cas, l’incertitude juridique et judiciaire était, en elle-même, une arme au profit des salariés… arme qui peu à peu leur est ôtée. Voilà, semble-t-il, le plus grand péril, pour les salariés, de cette réforme.