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Révolutionner la démocratie

Révolutionner la démocratieTemps de lecture : 12 minutes

L’appropriation du pouvoir par les citoyens implique une révolution démocratique qui passe par une transformation en profondeur des institutions, un développement audacieux de la démocratie participative et des droits nouveaux d’intervention directe.
Le texte qui suit est le résumé d’une partie du deuxième chapitre de l’ouvrage que nous avons publié en 2013 intitulé Nous avons le choix ! Penser le souhaitable pour ouvrir d’autres possibles. Ce chapitre vise à réfléchir à la manière de faire de la démocratie la matrice de notre organisation sociale. Il est accessible dans son intégralité à la fin de cet article.

Pourquoi révolutionner la démocratie?

Face à la concentration des pouvoirs et au discrédit dont souffre la politique traditionnelle, il est urgent d’entendre l’exigence montante des citoyens d’avoir prise sur les décisions qui conditionnent leur devenir et de transformer en profondeur nos institutions politiques.

Cette révolution démocratique est une condition indispensable pour élaborer des solutions en résonnance avec la complexité des défis qu’il faut surmonter. Cela implique de valoriser et de créer des institutions ou procédures permettant le développement et la reconnaissance de l’intelligence collective et de la confrontation pluraliste.

Comment la révolutionner?

Il convient de revisiter la démocratie représentative (I). Mais, il faut aller plus loin. Même renouvelée, la représentation porte, en effet, en germe le risque de captation du pouvoir. C’est pourquoi il nous semble primordial de développer les dimensions participative (II) et d’intervention directe de la démocratie (III). Cette révolution démocratique implique de réfléchir à la manière d’instaurer un « temps démocratique » (IV). Ces transformations sont d’une telle ampleur qu’elles nécessitent une rupture avec l’ordre constitutionnel et la reprise du pouvoir constituant par le peuple (V).

1. Revisiter la démocratie représentative

Affirmer la primauté du parlement dans les institutions politiques

Nous sommes résolument favorable à un régime parlementaire profondément démocratisé. Le Parlement est en effet le lieu où les différentes sensibilités politiques peuvent être représentées. Grâce à un débat et des délibérations qui se déroulent aux yeux de tous, il élabore les lois et vote les budgets qui permettent de concrétiser les politiques poursuivies. Il peut ainsi constituer un espace privilégié pour le travail collégial, pluraliste et contradictoire qui permet seul d’élaborer des solutions d’avenir adaptées à la complexité des défis.

La nécessité d’une représentation pluraliste et démocratisée

Revaloriser le parlement implique que son mode d’élection, sa composition et son fonctionnement le rendent pleinement représentatif de la population et de la diversité des courants politiques.

Pour l’assemblée nationale, le scrutin uninominal à deux tours existant aujourd’hui conduit à la surreprésentation des formations arrivées en tête au détriment du pluralisme. Des millions de citoyens ne se sentent pas représentés. C’est pourquoi l’instauration du scrutin proportionnel s’impose. Un grand débat est nécessaire pour en déterminer les modalités qui doivent permettre de dégager des majorités ne reposant pas sur des combinaisons politiciennes élaborées à l’insu des citoyens.

Quant au Sénat, les débats existent sur son utilité, son rôle et sa composition. De multiples réflexions ont été formulées. Le Sénat doit-il subsister ? Si oui, doit-il être la chambre représentative des territoires ? Doit-il intégrer la représentation es qualités de composantes de la vie économique, sociale et associative ? Dans ce cas, quels pourraient être ses modes de désignation ? Y aurait-il une place pour le tirage au sort ?

L’impératif du non cumul des mandats

Pour les deux chambres, la disponibilité des parlementaires est une question majeure. Il est fondamental que les élus consacrent toute leur énergie à cette fonction de discussion, d’amendement, d’adoption des normes. Il en va de même de leur rôle de contrôle du gouvernement, des administrations et des services publics comme de l’évaluation des politiques publiques. C’est pourquoi le non cumul des mandats, qui est d’ailleurs la règle dans la plupart des pays européens, doit s’imposer.

La question du non cumul dans le temps doit également être posée. Le constat du non renouvellement des responsables politiques fait partie des raisons principales motivant la coupure entre la « classe politique » et la population. L’existence de professionnels de la politique apparemment inamovibles est le symptôme d’un accaparement du pouvoir aujourd’hui massivement rejeté par la société. C’est pourquoi la limitation du nombre de mandats est indispensable pour assurer la rotation et le renouvellement des élus. Le corollaire de cette évolution est de créer un véritable statut de l’élu afin de prendre en compte le problème des carrières professionnelles interrompues. Il faut noter d’ailleurs que cette mesure devrait concerner aussi bien les responsabilités nationales que locales.

Un nouvel équilibre entre le législatif et l’exécutif

Un régime parlementaire démocratisé implique un nouvel équilibre entre le législatif et l’exécutif. Ce dernier doit pouvoir exercer ses fonctions mais il ne doit plus disposer des mécanismes lui permettant comme c’est le cas aujourd’hui de museler le parlement. La question de la suppression du vote bloqué (art 44 al 3) et du 49 al 3 ainsi que celle de la mainmise de l’exécutif sur l’agenda législatif se posent à l’évidence.

Cette démocratisation implique une transformation radicale du rôle du Président de la République

Repenser la fonction du président de la république

Dans un régime réellement parlementaire, le chef du gouvernement est le premier ministre qui est responsable politiquement devant au moins l’une de chambres. Cette condition nécessaire à la balance des pouvoirs implique de rompre avec la pratique présidentialiste de la Ve République. Cela conduit donc à interroger la fonction du président de la république ainsi que son mode de désignation.

Un gardien et un garant des institutions

Concernant sa fonction, elle doit, de notre point de vue, se limiter à une mission de représentation protocolaire et symbolique de la nation. Le président doit également être un garant et un gardien des institutions. Ce profil suggère bien plus une personnalité rassembleuse jouissant d’une forte légitimité sur une grande partie de l’arc politique qu’un chef de parti.

Un nouveau mode de désignation

Ce nouveau rôle du président pose la question de la pertinence de son élection au suffrage universel direct. Ce type de suffrage conduit en effet à lui conférer un pouvoir assurant sa primauté ce qui est contraire à l’instauration du régime parlementaire démocratisé que nous préconisons[1].

Reste à savoir comment il pourrait être désigné : faut-il privilégier le suffrage universel indirect en discutant du collège électoral pertinent ? Faut-il expérimenter des formes novatrices de suffrage universel par notation qui privilégie les personnalités jouissant d’un consensus fort[2] ? Ce débat doit prendre de l’ampleur. Il est à notre sens fondamental

 

2. Approfondir la démocratie participative

Il apparaît chaque jour que la construction collective des décisions est un impératif. Elle ne peut plus être l’apanage des seuls décideurs politiques, technocrates ou experts. D’ailleurs, quand les décisions sont prises dans un cadre aussi limité, elles sont de plus en plus contestées nuisant, ainsi, à leur légitimité et rendant plus difficile leur mise en œuvre. La dimension participative de la démocratie est un moyen de prendre en compte la complexité du réel et la diversité des préoccupations, d’essayer de faire converger des réflexions différentes, de mobiliser les intelligences pour se situer à la hauteur des défis actuels. Elle peut ainsi contribuer à la prise de décisions plus pertinentes, à des mesures plus durables, à des réponses plus adaptées aux enjeux et à une meilleure appropriation des dynamiques de transformation de la société.

Des expériences foisonnantes à recenser

Les expériences sont foisonnantes en France et dans le monde : jurys citoyens, conférences de consensus, débats publics institutionnels, sondages délibératifs, conseils de quartier, budgets participatifs, commissions extra-municipales, dispositifs de concertation mise en place lors de la réalisation de projets d’infrastructure ou d’aménagement, etc.

Il est important de recenser ce qui existe, de comprendre pourquoi certaines expériences sont concluantes et pourquoi d’autres ont échoué. Ce travail nous permettrait d’avoir une base pour tenter de nouvelles expérimentations.

Des limites importantes à dépasser

L’une des limites importantes qu’il est indispensable de dépasser est qu’en France, la démocratie participative se limite trop souvent à un exercice de « pédagogie » visant avant tout à canaliser des contestations. Le résultat est que, bien souvent, les décisions sont déjà quasiment arrêtées et ne peuvent être modifiées qu’à la marge. Le fait de n’être pas conçu comme un véritable outil de consultation a des effets démobilisateurs et décrédibilise la démarche.

S’il s’agit d’un processus consultatif, il doit néanmoins permettre de transformer le processus de décision lui-même. Cela implique que les instances participatives aient une autonomie réelle. Elles doivent par exemple avoir la possibilité de discuter de l’objet de la saisine, des questions posées, d’avoir leur mot à dire sur le calendrier et l’agenda des débats ou de pouvoir demander les informations et documents nécessaires. Cela implique également que les décideurs soient légalement obligés de motiver les raisons pour lesquelles ils n’auraient pas suivi les conclusions des consultations préalables.

Nous sommes aussi confrontés à un problème lié à la sociologie des personnes qui y participent. Nous devons donc nous poser la question de savoir comment il est possible que l’ensemble de la population, et notamment les couches populaires, aient l’envie d’intervenir dans cette dynamique participative et que chacun se sente légitime à y prendre part.

Le tirage au sort à réhabiliter

L’un des moyens de favoriser une participation égalitaire est, à notre sens, de réhabiliter la technique du tirage au sort permettant d’élargir considérablement la contribution des citoyens et de proposer de nouvelles manières d’intervenir. La sélection aléatoire permet d’aboutir à un échantillon statistiquement représentatif.

Cet outil peut être mobilisé dans des dispositifs très divers : conseils permanents ou pour une durée limitée pour des problèmes spécifiques ; et selon des modalités diverses elles-aussi : tirage au sort sur les listes électorales quand tout le monde est concerné, sur une liste de spécialistes afin de doter le conseil de l’expertise nécessaire dans les différentes disciplines, tirage au sort parmi des volontaires inscrits ayant manifesté leur intérêt pour un domaine particulier, etc.

 

3. Construire une démocratie d’intervention

Il s’agit d’une dimension primordiale du renouveau démocratique. La co-élaboration, la co-décision, la co-évaluation et la capacité de contrôler en constituent les mots-clés.

Utiliser le référendum en le renouvelant

Le référendum est un outil intéressant pour permettre l’intervention directe des citoyens dans les processus de décision. Mais il doit être profondément renouvelé afin de le mettre à l’abri des logiques plébiscitaires.

Ce renouvellement implique un certain nombre de conditions préalables.

La détermination des questions soumises aux citoyens est un enjeu à part entière. Afin d’éviter leur instrumentalisation, on pourrait imaginer la possibilité de s’opposer, par pétition, à la formulation des questions posées par les autorités. Mais plus encore, il faut instaurer un véritable référendum d’initiative populaire ouvert par le soutien d’un nombre significatif d’électeurs à déterminer.

Bien sûr, l’organisation d’un débat pluraliste et réellement contradictoire est indispensable. Ce dernier constitue, en effet, un moment clé pour l’appropriation par les citoyens des enjeux et des arguments en présence.

Les types de référendum peuvent être multiples. Ils peuvent ne pas se limiter à la traditionnelle réponse par oui ou par non en posant des questions à choix multiples.

Instaurer des référendums abrogatif et révocatif

Le référendum peut également être utilisé comme un contre-pouvoir citoyen visant à contrôler l’activité des élus dans le sens d’une extension de la démocratie.

Le référendum abrogatif a pour objet de soumettre la pertinence d’une décision à la consultation populaire. De son côté, le référendum révocatif permet de remettre en jeu le mandat d’un élu avant son terme. Existant déjà dans certains pays, ils sont déclenchés au terme d’une procédure de pétition citoyenne.

Évidemment, pour ces deux types de référendum, des conditions particulières doivent être réunies afin d’en éviter une utilisation abusive, propice aux manœuvres politiciennes. C’est pourquoi le nombre de signatures permettant de déclencher ces mécanismes doit être suffisamment élevé et un taux de participation minimum fixé afin de donner des bases légitimes à cette consultation.

Multiplier les outils d’intervention directe des citoyens

Le champ d’application des processus d’intervention directe est très diversifié. À titre d’illustration, on peut citer quelques exemples.

Le droit de pétition peut être utilisé pour déclencher des droits de saisine d’institutions publiques (CSA, CNIL, ANSM, Cour des comptes, etc.) afin d’obtenir l’application de mesures de sécurité ou la garantie de libertés publiques. Il pourrait aussi être mobilisé pour déclencher des consultations publiques ou la création d’instances participatives.

Le  pouvoir d’intervention directe peut s’étendre en matière budgétaire en suivant l’exemple des budgets participatifs. Il s’agit ainsi de transférer une partie du pouvoir de décision en matière budgétaire à la population afin qu’elle puisse fixer des orientations, des priorités ou encore sélectionner des projets…

 

4. Instaurer un «temps démocratique»

La participation à l’agir collectif prend du temps que ce soit pour développer la relation à l’autre, mettre en place des institutions collectives, débattre et échanger, élaborer des normes ou encore avoir la possibilité de contrôler l’adéquation des décisions ou le fonctionnement des institutions aux fins poursuivies. Ce temps commun de la démocratie n’est pas du temps perdu, bien au contraire. Il permet de déboucher sur de meilleures décisions prenant en compte les multiples dimensions du vivre-ensemble, la diversité des initiatives et expérimentations ainsi que l’hétérogénéité des besoins et aspirations. Des conditions sont ainsi créées pour une plus vaste appropriation des décisions par les populations concernées.

Ce temps démocratique est ainsi bénéfique pour l’ensemble de la société. Il implique de dégager du temps individuel afin que les conditions de la délibération soient compatibles avec les réalités du travail et de la vie quotidienne. Cela pose bien sûr des problèmes de conception, de financement, de fonctionnement concret qui sont inséparables d’une réflexion sur l’organisation du temps de travail et sur sa réduction.

Nous sommes convaincus que le droit au temps libre pour l’exercice démocratique est une question d’avenir et qu’il constitue une avancée révolutionnaire de nos modes de vie.

 

V. Reprendre le pouvoir constituant

La reprise du pouvoir constituant renvoie à l’idée que le peuple, en tant que souverain, doit jouer tout son rôle. Il doit pouvoir discuter, élaborer et adopter une nouvelle Constitution permettant de rompre avec l’ordre institutionnel actuel et de rendre possible la révolution démocratique. Ce processus constituant doit également être le moment de débattre et de déterminer les principes, droits et libertés que l’on considère comme fondamentaux au XXIe siècle.

Cette idée de VIe République est désormais largement présente dans le débat à gauche. Un certain nombre de questions sont l’objet de controverses et notamment le mode de désignation de l’assemblée constituante. S’agissant d’un sujet dont la portée politique est majeure, nous ne sommes pas favorables à l’idée d’un tirage au sort pour cette assemblée. Il est en effet indispensable que le débat d’options préalable puisse avoir lieu et que les élus à cette assemblée en soient l’émanation pluraliste. C’est pourquoi nous soutenons l’idée d’un scrutin de liste à la proportionnelle intégrale afin de permettre la représentation la plus large et la plus diverse.

De surcroît, les deux autres dimensions de la démocratie doivent prendre toute leur place dans ce processus. La dimension participative peut en effet être un moyen de prolonger les débats, de s’approprier les enjeux, de discuter les différentes propositions et de pouvoir en avancer d’autres. Quant à la dimension d’intervention directe, elle doit se manifester par l’adoption de la nouvelle constitution par voie référendaire.

Ce processus constituant est l’élément fondateur de la révolution citoyenne qui ne se limite pas aux seules institutions politiques nationales mais qui doit irriguer toute la société de la commune à l’Europe en passant par les entreprises et les services publics.

 

Pour aller plus loin dans l’exposé de ces analyses et propositions, vous pouvez avoir accès, ci-dessous, à l’intégralité du chapitre sur la démocratie du livre Nous avons le choix!.

[1] Pour une analyse convaincante de la nécessité de supprimer l’élection du président au suffrage universel direct, voir l’article de Pierre Brunet et Arnaud Le Pillouer, « Pour en finir avec l’élection présidentielle », La vie des idées, 4 octobre 2011.

[2] Marie-Anne Cohendet, « Elire le président de la République au vote par notes », Le monde des idées, 12 janvier 2017.

Pour citer cet article

Louise Gaxie, Alain Obadia, « Révolutionner la démocratie », Silomag, n° 1, mars 2017. URL : https://silogora.org/revolutionner-la-democratie/

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