La période que nous vivons est marquée par un paradoxe. Alors que la pandémie du coronavirus et la crise sanitaire qui en découle sont loin d’être étrangères à la dégradation des écosystèmes et à leurs conséquences en matière de biodiversité, les projecteurs de l’actualité sont beaucoup moins tournés qu’ils ne devraient vers les défis écologiques que l’humanité doit affronter. Pourtant, le caractère prioritaire de ces défis ne peut être minimisé. La trajectoire de lutte contre le réchauffement climatique est bien trop lente pour éviter des situations catastrophiques à un horizon qui se rapproche. Le processus en cours de disparition des espèces reste dramatique au point que de nombreux chercheurs le qualifient de 6e extinction de masse ; la 5e étant celle qui a vu l’anéantissement des dinosaures… La déforestation sauvage, l’épuisement des sols, l’acidification des océans ou encore le pillage des ressources naturelles restent la toile de fond du mode de développement capitaliste. En réalité, c’est l’avenir de notre espèce dans des conditions de vie propices à son développement et à son épanouissement qui est en cause. Le paradoxe est d’autant plus grand qu’une prise de conscience massive est en cours sur la portée des enjeux écologiques.
Tous les aspects de nos modes de vie sont concernés
Les modes de consommation, de production et d’échange sont puissamment interrogés. C’est vrai pour notre alimentation et le type d’agriculture, d’élevage et de distribution qui en sont en à l’origine. C’est vrai pour les produits manufacturés du textile aux plastiques en passant par l’électronique ou les produits chimiques. C’est vrai pour les déplacements, ceux du quotidien comme ceux du tourisme de masse, mais aussi ceux des flux de marchandises à travers le monde. C’est vrai aussi pour la conception des infrastructures nécessaires aux réseaux numériques et au stockage des données. C’est vrai pour la conception des villes et de l’habitat. C’est vrai encore pour le marketing ou la publicité. Bref, tous les aspects de nos modes de vie sont concernés.
Nombreux sont celles et ceux, notamment parmi les jeunes générations, qui cherchent d’autres voies que celles de l’univers consumériste et productiviste dans lequel nous sommes immergés. Nombreuses sont les initiatives ou les expérimentations citoyennes qui proposent des alternatives respectueuses du vivant pour produire, consommer et échanger dans une perspective d’insertion plus harmonieuse des êtres humains et de leurs activités dans leur écosystème. Nombreux sont celles et ceux qui luttent pour que ces voies et alternatives soient accessibles à tous.
Un saut de civilisation
Ainsi, le défi environnemental oblige à interroger les rapports collectifs à la matière, à lier les questions sociales et écologiques, à comprendre l’urgence de démocratiser nos modes de prise de décisions et de faire de la maîtrise sociale des évolutions un sujet majeur ; bref à politiser les enjeux écologiques à la lumière de l’exigence montante d’un nouveau mode de développement dépassant le capitalisme.
Les transformations de ces nouvelles manières de penser et d’agir sont telles qu’elles relèvent d’une véritable révolution, d’un saut de civilisation. Le combat pour l’écologie ne relève pas de la juxtaposition de simples « bonnes pratiques » ou de solutions parcellaires encore moins de l’individualisation des approches. Il revêt une dimension systémique permettant d’intégrer la complexité et les interactions. Il permet une approche renouvelée des idéaux de justice, de solidarité, d’égalité et de liberté.
Telle est l’ambition de ce dossier conçu et réalisé en partenariat avec la Fondation Rosa Luxemburg. L’un de ses objectifs est d’identifier les bouleversements conceptuels et pratiques que l’humanité doit opérer pour rendre possible cette révolution ainsi que les processus nécessaires pour nous dégager des impasses qui bloquent, de fait, l’avènement d’une civilisation écologique. Un certain nombre de thématiques structurantes font l’objet de focus : quelles transformations des modes de production ? Quelles nouvelles réponses aux besoins ? Quels modes de prises de décisions ? Quelles conceptions des financements ?
Concevant les Silomags comme devant être complétés dans la durée, de nouvelles contributions viendront enrichir ce dossier. Au regard de l’ampleur du sujet et du niveau d’ambition indispensable pour en avoir une vision d’ensemble, nous lançons, avec ce numéro, un chantier qui fera notamment l’objet d’un séminaire – toujours en partenariat avec la Fondation Rosa Luxemburg – et qui permettra de bénéficier de nouveaux apports de chercheurs, de militants et d’acteurs de terrain.
Nous tenons ici à remercier Chrystel Le Moing et Nessim Achouche sans qui ce dossier n’aurait pu voir le jour.