À l’aube du XXIe siècle, la Chine a connu un essor économique sans précédent. Le système de Sécurité sociale chinois a dû s’adapter pour répondre à l’exode massif de ruraux vers les grandes villes et au mouvement migratoire constant d’une importante partie de la population. D’importants efforts ont été fournis dans ce sens, mais les contraintes liées à la topographie de ce pays immense et le vieillissement de la population posent un problème de financement de la couverture maladie et des retraites. Mélanie Atindéhou-Laporte revient sur cette construction progressive de la protection chinoise et sur ses enjeux contemporains.
Attaquée depuis les origines, la sécurité sociale est souvent accusée de trop peser sur le « coût du travail » et de constituer ainsi un frein à la compétitivité. La campagne pour accréditer l’idée qu’elle serait un choix de société dépassé et coûtant trop cher est puissante. La sécurité sociale a pourtant joué un rôle considérable dans l’amélioration des conditions de vie du plus grand nombre, dans l’atténuation de la peur du lendemain et dans l’allongement de la durée de vie. Elle est un vecteur fondamental de l’épanouissement humain et du développement de nos sociétés. Appréhendée comme un commun et largement démocratisée, elle constitue un dispositif fondamental pour répondre aux nouveaux défis que l’humanité doit affronter.
Entretien avec Pierre Dharréville.
Alors qu’elle est la plus grande invention sociale du XXe siècle, la Sécurité sociale est mise à mal par des injonctions d’ordre financier. Entre la pression du patronat pour l’augmentation de la CSG, la progressive diminution des cotisations et la pression d’une dette largement fabriquée, la question de la réponse aux besoins peine à s’imposer dans le débat politique. L’amenuisement des moyens et la multiplication des fermetures d’établissements accroissent la souffrance au travail des soignants et empêchent de faire face convenablement aux défis sanitaires. Le diagnostic est pourtant simple : on consacre une part trop faible des richesses produites à notre santé. Pierre Dharréville veut faire porter la voix de celles et ceux « qui ont besoin d’une sécurité sociale forte et solidaire », et appelle à une appropriation sociale de cet enjeu majeur.
Les fondateurs de la sécurité sociale ont assis son financement sur la richesse produite dans l’entreprise. La cotisation sociale incarne ce prélèvement sur la richesse qui finance la réponse à un besoin social et non les profits. C’est un choix politique qui a été fait en 1945. Cela permet de comprendre pourquoi la sécurité sociale a été, dès sa création, attaquée violemment par le patronat. Mais aussi pourquoi les politiques de baisse du « coût du travail » visent avant tout à réduire la part de la cotisation sociale dans le financement de la sécurité sociale et à amplifier la fiscalisation de ce financement, qui repose, elle, essentiellement sur les revenus des ménages. À partir d’une lecture de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, Frédéric Rauch explique en quoi cette évolution de la structure de financement participe d’une refonte libérale de notre système de sécurité sociale. Il nous invite à mener la bataille idéologique pour défendre et promouvoir notre modèle social.
Quand on évoque la dette de la sécurité sociale, le bilan est alarmiste. Cette dette n’est pas n’importe laquelle. Elle est celle définie par le traité de Maastricht et surveillée, de très près, par la Commission européenne. Mais d’autres définitions plus complètes existent. Jacques Rigaudiat nous propose une autre analyse. En s’appuyant sur les seules prévisions officielles, il souligne que le remboursement complet de la dette sociale sera effectif en 2024, et, qu’à cette date, les ressources qui sont aujourd’hui allouées à la gestion de la dette, soit plusieurs dizaines de milliards d’euros, seront alors libres de toute affectation. Il nous invite à en mettre, dès aujourd’hui, en débat le devenir de ces fonds.
Contrairement à ce que prétendent les thèses libérales, la Sécurité sociale a un rôle économique majeur, nous rappelle Nathalie Coutinet. Grâce à sa fonction de redistribution des richesses, elle maintient un certain niveau de pouvoir d’achat pour tous. Par ailleurs, le remboursement des soins et des médicaments permet de financer l’amélioration de la santé du plus grand nombre, tandis que les prestations familiales participent au dynamisme de la natalité. Malgré ses effets bénéfiques, la sécurité sociale fait l’objet d’attaques récurrentes depuis une trentaine d’années, au prétendu motif qu’elle serait à l’origine des difficultés économiques de notre pays.
Entretien avec André Grimaldi.
Les logiques financières et managériales qui gouvernent aujourd’hui le fonctionnement de l’hôpital s’exercent au détriment de la qualité des soins et des conditions de travail des soignants. Le leitmotiv de cette gouvernance par les chiffres est de faire « toujours plus avec toujours moins ». Le passage du moindre coût pour la collectivité à la rentabilité de l’activité pour l’établissement conduit à faire de l’hôpital une entreprise commerciale comme les autres. André Grimaldi insiste sur la nécessité de penser l’hôpital à l’aune de sa vocation, celle de soigner plutôt que de gérer. Il évoque de nombreuses pistes de réformes souhaitables pour que le système de santé puisse assurer ses missions de service public et pour penser la vie démocratique dans l’hôpital.
Si la sécurité sociale joue un rôle fondamental dans l’amélioration de l’espérance de vie et des conditions de vie, les inégalités sociales de santé, les inégalités territoriales comme les barrières financières d’accès aux soins installent une importante fracture sanitaire. Le développement de l’assurance sociale privée vient encore accentuer ces inégalités tandis que le management à la performance qui sévit à l’hôpital porte préjudice aux patients et renforce la souffrance au travail des soignants. Philippe Batifoulier revient sur les effets délétères de ces différentes formes de privatisation et invite à construire la démocratie en santé.
La diffusion des technologies numériques modifie considérablement le monde du travail depuis plusieurs décennies. L’économie de plateforme, en multipliant l’auto-entrepreneuriat, entraîne une réduction des contributions au financement de la protection sociale. Elle conduit également à un transfert des risques économiques et professionnels sur ces travailleurs « indépendants » qui connaissent, de surcroît, une diminution de leurs droits sociaux. Plus généralement, l’augmentation de la précarité et du sentiment d’insécurité concerne tous les travailleurs. Jean-Luc Molins revient sur ces évolutions et présente quelques propositions visant à assurer une protection sociale et juridique à la hauteur des besoins afin de construire un cadre de travail émancipateur.
Né au XIXe siècle avec les premières sociétés de secours, le mutualisme repose sur des principes solidaires et démocratiques qui sont aujourd’hui menacés par le développement des logiques assurantielles, gestionnaires et concurrentielles. D’un autre côté, les évolutions successives de la sécurité sociale n’ont pas permis de mener à terme l’ambitieux projet de ses fondateurs qui portait en germe une vision socialiste de la société. Affirmant la complémentarité de ces deux institutions, Jean-Philippe Milesy nous invite à repenser un système démocratique et solidaire de protection sociale.